mardi 11 février 2014

L'éternité du violon


- Mon Père... Je viens vous avouer quelque chose...

- Confessez-vous mon enfant...

- Non, seuls ceux qui croient se confessent, moi je viens avouer que je ne crois pas en Dieu.

- Pourquoi ne croyez-vous pas ?

- C'est de la connerie tout ça... C'est juste pour donner un peu d'espoir à l'humanité, pour éviter le chaos avant le vide éternel... Il n'y a personne. Que dalle !

- Chuuuut... Je respecte toutes vos idées mais soyez claire, douce, et respectueuse de l'endroit, même si vous ne croyez pas en Celui qui vous y accueille...

- Pardon... Il n' y a personne. On meurt, on crame ou on pourrit sous une pierre, bref, fin de l'histoire. La pluralité des religions discrédite la religion en général. Les livres comme la Bible, ce sont des bouquins écrits par des hommes parmi les plus grands manipulateurs de conscience de l'Histoire, non, il n'y a personne... Sinon ma mère serait encore en vie, après toute sa dévotion, sa foi inébranlable... Si Dieu existait, il n'y aurait pas de guerres, pas d'injustice. Non... On n'était rien avant la vie, on ne sera rien après la mort. Vous imaginez le bordel au Paradis depuis le temps ?

- S'il vous plaît...

- Le bazar pardon... On est du gaz, de l'énergie, de la physique, de la chimie, un heureux hasard a provoqué la vie mais après le show, c'est tout le monde au vestiaire, lumière éteinte. Et ça dure un moment... Je vais y aller parce que je vais pleurer là...

- Restez là...

- Non mais vous vous rendez compte ??? On n'existe plus jamais ??? Jamais !!! On s'emmerde à se faire belle, à s'accepter, à faire des efforts, on apprend à aimer, à faire des enfants, à les élever, à comprendre la vie, à supporter ses vices, à jouir de ses plaisirs, à vieillir sereinement, et quand on commence à maîtriser son jeu c'est la fin de l'histoire ? Non mais c'est horrible ! Et ne me parlez pas de la réincarnation hein... Je n'en ai rien à cirer de tout recommencer dans la peau d'une autre si je ne me souviens pas de tout ce que j'ai appris, et surtout de qui j'étais avant. Et encore, là, je parle de la peau d'une autre... Si je reviens en tant que tortue des Galápagos, faudra être costaud pour m'expliquer les avantages...

- Vous voulez bien m'écouter maintenant ?

- Vous allez me faire acte 2 scène III, merci, c'est bon...

- Non. Je ne suis pas un Père comme les autres. Je ne croyais en rien, comme vous. J'ai connu de belles histoires d'amour, j'ai surtout aimé une femme comme aucune autre, la mienne. Elle était toute ma vie. Je pensais l'avoir perdue à jamais quand elle est morte il y a cinq ans, déjà. Et puis un soir, alors que j'assistais à un concert, j'ai compris qu'il y avait quelque chose bien au-delà de la vie, j'ai compris la magie qui nous enveloppait en regardant un violon.

- Un violon ?

- Je regardais toute la partie des cordes de l'orchestre, les violoncelles, les contrebasses, les violons... Et en réfléchissant sur la magie du violon, j'ai compris qu'il n'y avait pas de hasard. A l'origine est le verbe, nous devons chercher les accords. J'écoutais la pureté de la musique jouée par le violoniste et je me disais que c'était le fruit d'une quête absolue. Le violon devait exister. Pourquoi a--il cette forme et pas une autre ? Pourquoi faut-il un archet et pas autre chose ? Pourquoi valider ces notes ? Les trouver justes ou non ? Aurait-on pu passer à côté du violon ? Je suis sûr que non. Le violon existe parce qu'il a été écrit, ou pensé, soufflé. Il n'est pas le fruit du hasard.

- Pourquoi ?

- Le hasard l'aurait moins bien réussi. Le violon ce soir-là, n'a pas eu de sanglots longs, il n'a eu que des sourires caressants, il a joué l'hymne à l'espoir, j'ai fêté avec lui la naissance de ma foi. Je me fous de savoir ce qui est écrit dans les livres, comment ou en qui il faut croire, Dieu c'est ce violon, cette musique, cette évolution divine qui offre les plus beaux frissons quand on en caresse les cordes avec confiance et maîtrise, avec amour et générosité. Le violon ce n'est pas une idée de génie qui trouve sa place dans les siècles parce qu'elle est géniale, l'idée de cet instrument voyage par delà les temps parce qu'elle est divine. Ne cherchez pas à trouver des réponses à vos questions, nous ne sommes pas équipés intellectuellement pour trouver des réponses qui remettraient en cause le principe même de la foi. La foi est un pari. Je n'ai pas fait celui d'un livre Saint. J'ai fait celui du violon, comme d'autres ont fait le pari d'un coucher de soleil, d'un sourire d'enfant ou de la beauté des étoiles pour expliquer l'irrationnel. Quand le violoniste a joué, quand sa musique m'a emporté jusqu'aux origines du monde, j'ai vu ma femme danser. Depuis je viens ici, pour dire aux gens comme vous qu'après le silence, il y aura de la musique.

- Merci mon Père...

- Appelez-moi Raoul.




 Franck Pelé - textes déposés SACD - février 2014

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