samedi 30 novembre 2013

Les amants du Lutetia

(Note de l'auteur : cet épisode de Simone est inspiré de ce que les médias ont appelé "Les amants du Lutetia" ces personnes âgées qui ont choisi de mourir ensemble dans une suite du célèbre palace parisien parce que l'une des deux était gravement malade. J'ai hésité à m'inspirer de cette histoire, qui parle de mort, d'euthanasie, d'une noirceur très éloignée de l'univers de Simone, plutôt piquante, amoureuse, drôle, élégante et légère. Mais j'ai finalement pensé que l'amour pouvait se révéler encore plus dans une telle situation, être magnifié par la grandeur dramatique d'un tel symbole. Et Simone étant la plus grande amoureuse qui soit, je crois que cet épisode est légitime dans sa longue histoire. Franck Pelé.)
 
 
 
 



- Tu peux m'expliquer ce qu'on fait là Raoul ?

- Mes grands-parents ont pris cette suite alors qu'ils n'ont pas d'argent, et dimanche dernier, à table, ils ont parlé du droit de partir ensemble avant que la maladie n'emporte mon grand-père et leur vie commune.

- Ton grand-père est malade ?

- Il a un cancer.

- Mais pourquoi tu ne m'as pas dit la vérité plus tôt ??? On vient assister à la mort de tes grands-parents là ?

- Bien sûr que non ! On vient prévenir un éventuel drame.

- Mais tu n'as pas le droit ! S'ils veulent mourir ensemble c'est leur droit, leur choix, pas le tien !

- Malheureusement non, c'est toi qui n'as pas le droit de les laisser faire. Tu es pour l'euthanasie chérie ?

- Moi je suis pour la thalassothérapie, c'est le maximum que je puisse cautionner niveau détente du corps... Mais je suis pour que chacun puisse avoir le droit de mourir dans la dignité.

- Je comprends, moi aussi je suis pour cette liberté.

- Alors ne te mets pas en travers de leur décision.

- Tu les vois ? Et le micro, il fonctionne ?

- Oui... Ton grand-père demande à ta grand-mère si elle est prête... Il lui tend plusieurs cachets...

- Tu vois ? J'en étais sûr ! J'y vais.

- Raoul tu restes là !!! Raoul, je te jure que si tu bouges de cette pièce pour les empêcher d'écrire la fin de leur histoire, tu me décevras comme jamais. Et tu sais ce que je pense de la déception.

- Non, je ne sais pas.

- C'est le contraire de l'amour. L'amour c'est quand l'ordinaire devient exceptionnel, la déception c'est quand l'exceptionnel redevient ordinaire. Si tu faisais ça, tu redeviendrais ordinaire à mes yeux.

- Tu es tellement lucide sur les erreurs des autres Simone et tellement irresponsable au moment des tiennes, comme si tu promenais ton imperfection prétentieuse jusqu'aux lumières les plus sages.

- Je ne suis pas irresponsable, je suis responsable de mon irresponsabilité, et consciente qu'elle puisse être définie comme telle. Mais permets-moi d'y voir plutôt l'expression d'un libre-arbitre, d'un choix de pensée, de philosophie, et de vie. Et tu as raison, je promène mon imperfection jusqu'aux lumières les plus sages, parce qu'elle sera bien là-bas, elle sera parfaite.

- Tu donnes la leçon à ceux qui posent des pierres dans les jardins et tu empiles les tiennes sur des fleurs qui ne se cueillent pas.

- Que veux-tu dire par là mon beau poète ?

- Je veux dire que tu es douée pour me faire la leçon sur l'honnêteté qu'on doit avoir face à l'amour qui unit un couple mais ça ne t'a pas empêchée d'écrire ou même d'offrir de l'amour à d'autres que moi, des hommes parfois mariés, d'où les fleurs qui ne se cueillent pas.

- C'est quoi cette diversion là ? C'est le moment de parler de ça tu crois ?

- Oui, je crois.

- Oui, j'ai offert de l'amour, comme on m'en a offert, j'ai offert un bouquet de rêves à des âmes emmurées. Mais la seule fleur que j'ai cueillie pour accrocher à ma vie, c'est celle qui se tient devant moi, celle qui voudrait empêcher ses racines de s'aimer jusqu'à la mort ! Jusqu'à ce que la mort les sépare... c'est ce qu'on dit n'est-ce pas ? Et cette fleur-là, si j'étais malade et qu'elle ne supportait pas l'idée de devoir vivre sans moi, une idée aussi insupportable pour mon cœur, ma vie, mon âme, si elle me demandait de réserver une suite pour mourir avec moi, ma main dans la sienne, j'aurais peut-être une légère angoisse devant l'interdiction divine d'accéder au Paradis, mais je connaîtrais le bonheur d'y mourir.

- Tu prendrais le risque de ne pas laisser faire Celui dont c'est le rôle ?

- Je te le dis encore, mon Paradis, c'est toi, et entre la certitude de mourir dans ses bras, et la possibilité d'y renaître sans toi, je n'ai pas l'ombre d'un doute.

- Quelle chance a mon grand-père d'avoir rencontré une femme qui te ressemble... Allez, arrête de regarder on s'en va.

- Il n'y a plus rien à voir, tout est éteint.

- Tu veux dire... TOUT est éteint ? C'est noir comme un silence définitif ?

- Non... C'est lumineux comme un amour éternel.




Franck Pelé - novembre 2013 - textes déposés SACD

2 commentaires:

  1. lumineux comme un amour éternel..... que dire d'autre.....

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  2. Oui lumineux comme un amour éternel, quand l'amour prend tout son sens quand la vie sans l'autre devient si insupportable qu'on choisit de partir ensemble, main dans la main, comme lorsqu'on a entamé ce bout de route ensemble. C'est beau et oui cela a toute sa place ici

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