mardi 11 septembre 2012

Plus beau vu d'en haut



Raoul vient d'inviter Simone au restaurant. Après quinze refus, elle a enfin accepté. Au pied des buildings, dans une avenue bordée d'arbres majestueux, juste derrière l'immense baie vitrée du "Tiffany's", il lance la conversation :

- Vous êtes absolument divine.

- Merci. Je n'aime pas trop la couleur de votre costume mais vous le portez assez bien. Par contre, votre nœud de cravate, ce n'est pa
s possible... Vous l'avez serré à plusieurs comme on serre un lacet ?

- Simone, je dois vous dire quelque chose.

- Moi d'abord. Permettez ? Écoutez Raoul, je sais pourquoi vous voulez m'inviter depuis des mois mais vous n'êtes pas mon type d'homme, vous écoutez de la musique que je n'aime pas, vous lisez les journaux et moi des livres, vous avez des habitudes à mille lieues des miennes, je n'aime pas votre nez, vos chaussures, votre humour est parfois gras, vous regardez le foot à la télé, bref, pardonnez-moi si vous me trouvez désagréable mais je préférais vous prévenir avant que vous ne me demandiez quoi que ce soit.

- Vous ne voulez pas qu'on passe une bonne soirée ? Qu'on essaie la complicité sans faux-semblants ? Prenons le risque d'un bon moment. S'il vous plaît. Vous ne me connaissez pas, dans votre esprit je ne suis fait que de généralités et de caricatures qui arrangent vos a priori, et je ne vous connais pas vraiment non plus. Ce restaurant est le meilleur de la ville, et j'aimerais que vous en gardiez un très bon souvenir.

- Je ne suis pas matérialiste, ce qui m'intéresse ce sont les choses simples, les valeurs, et le bon goût.

- Simone... S'il vous plaît...

- Oui... Bon, allez-y... Je vous écoute. Qui êtes-vous Raoul...

- Je suis un businessman, j'ai du succès dans mes affaires, pas vraiment dans mes amours, j'ai mon bureau en haut d'une tour d'où je vois la ville à l'envers. Et au-dessus de mon bureau, j'ai mon appartement.

- Vous vivez en haut d'une tour ?

- Oui.

- Je ne pourrais jamais vivre en haut d'une tour...

- Encore un a priori...

- Mais non ! J'aime l'air, la campagne, l'herbe, voir le soleil se coucher, sentir l'air pur, entendre les oiseaux, aller chez mon petit boucher, mon petit boulanger, je n'ai rien à faire en haut de votre prétention !

- Rien à voir avec de la prétention, c'était une opportunité exceptionnelle, et juste au-dessus de mon bureau, vous imaginez le temps que je gagne ? Je mets trente secondes pour aller bosser ! Jamais de bouchons ! Une terrasse gigantesque qui domine toute la ville, une piscine intérieure sauna-jacuzzi, un petit hammam, un salon avec cheminée, de l'ancien, du neuf, du contemporain, un ascenseur privé, je peux diffuser la musique dans toutes les pièces de l'appartement y compris les toilettes, j'ai une petite salle de sport, et un grand vidéo-projecteur numérique qui me permet de voir les films dans un vrai confort de cinéma. J'ai aussi un cuisinier nutritionniste qui travaille toute la semaine à la maison, et une femme de ménage.

- Et ?

- Je voudrais vous proposer de boire un dernier verre, après notre dîner, en regardant cette ville d'en haut.

- Pour pouvoir me regarder de haut ?

- Vous vous trompez Simone. Je vous regarde le plus simplement du monde, comme une femme que j'aime profondément depuis la première seconde où je l'ai vue. Et si je dois construire une cabane au Canada pour vous plaire, je suis prêt à partir demain.

Après le dîner, Raoul propose son bras à Simone, qui le prend. Ils montent dans l'ascenseur privé, et arrivent directement dans le salon. Quand Raoul guide son élégant rêve jusqu'à la terrasse, Simone ouvre des yeux d'enfant. Le spectacle est absolument magique. Elle visite l'appartement, critique deux trois choses, par pièce, puis revient s'installer sur la terrasse. Au bout de la troisième coupe de champagne, elle demande à aller dans le hammam. Dans la moiteur de l'endroit, elle se laisse aller jusqu'à la bouche de Raoul.

- Vous étiez très beau dans votre costume tout à l'heure. Je me suis trompée sur vous. Ce dîner était somptueux, vous avez été fin, raffiné, élégant. Et mon Dieu que vous embrassez bien...

- Vous m'auriez dit la même chose si nous avions été dans une cabane au Canada ?

- Oui. Mais j'aurais peut-être mis un peu plus de temps. J'ai changé d'avis sur une chose, je pense que la vie en haut d'une tour peut être très agréable.

- Je croyais que vous n'étiez pas matérialiste ?

- Non. Mais je ne suis pas conne non plus !

- J'ai quand même l'impression que cet endroit me rend soudain plus séduisant...

- Je ne vais pas vous mentir, l'endroit a joué, mais vous êtes très séduisant Raoul. Il faut parfois un écrin particulièrement exceptionnel pour révéler la vraie valeur d'un diamant. Je ne vous voyais pas, et maintenant, je vous vois, grâce à un filtre tout à fait matériel, comme quoi, les certitudes et les a priori...

- Embrassez-moi encore...

- Faites-moi voir à quel point la vie en haut d'une tour peut être agréable...

- Rrrrrooooooo Simone....




Franck Pelé - Septembre 2012 - Textes déposés à la SACD

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