vendredi 6 juillet 2012

Raoul découvre sa vérité profonde




- Je viens de me faire virer de la télé.

- Quoi ??? Comme ça ? Sans prévenir ?

- Oui.

- Mais comment on va faire ? Une femme au foyer et un chômeur, on va être obligés de vendre la maison ! Et qu'est-ce que tu fais avec mes chaussures ? Je les cherchais partout depuis trois ans celles-là !

- Ce sont mes chaussures de boulot.

- Pardon ?

- Ça fait dix ans que je présente le 20 heures comme ça, mais comme je suis cadré jusqu'à la taille, personne n'en a jamais rien su.

- Tu présentes le journal dans cette tenue depuis dix ans ?

- Oui.

- Et personne ne le savait ? Tu te fous de moi ?

- Les gars de la technique étaient au courant, les cadreurs, certains chroniqueurs, mais personne de la direction. Jusqu'à ce que le patron fasse le tour de mon bureau pour me dire que j'étais en tête des audiences...

- Et alors ? On s'en fout de ta tenue puisqu'on ne voit pas tes jambes, l'important c'est que tu aies du talent non ?

- Pas pour mon boss. Apparemment, pour lui, l'important c'est que j'aie des talons.

- Raoul... Mais... Pourquoi tu t'habilles comme ça ?

- Parce que je me sens forte quand... pardon... je me sens fort quand je présente les infos dans le monde avec ces chaussures, et je me sens séduisant. J'avais l'impression que tout le monde m'écoutait, hommes et femmes. J'ai peur Simone...

- De quoi ? Du chômage ? Mais tu retrouveras, ne t'inquiète pas, avec ton expérience...

- Non, j'ai peur d'aimer être une femme.

- Manquait plus que ça... Tu préférais Candy ou Goldorak quand tu étais petit ?

- J'adorais Candy.

- Tu préfères passer trois heures à acheter des fringues ou devant un match de foot et un match de rugby à la suite ?

- Des fringues, évidemment.

- Mais Raoul... Tu.... Je rêve là... Tu préfères manger des sushi et une petite salade ou un bon rôti de bœuf ?

- Tu sais très bien que c'est beaucoup trop calorique ton deuxième exemple, c'est presque une question fermée.

- Quand tu me fais l'amour, tu penses à Angelina ou à Brad ?

- Plutôt à Clooney...

- Mais Raoul, tu déconnes ou quoi ??? Je suis mariée avec toi depuis vingt-cinq ans, t'as toujours été un gros macho, tu passes ta vie à mater les seins de mes copines ou les petits culs dans la rue, tu conduis comme un dingue, tu fais tes créneaux du premier coup, t'as un super sens de l'orientation, t'as connu tes premiers émois avec Brigitte Lahaie, tu ne fais jamais la vaisselle, tu n'as aucune psychologie et maintenant tu veux me faire croire que tu es devenu le contraire !

- Je l'ai toujours été je crois. Toutes les robes que tu pensais perdues, elles sont dans le dressing, dans le faux-plafond, je les mettais le jeudi soir...

- Hein ? Le jeudi soir quand tu sortais avec tes potes ???

- Oui. En fait, je ne sortais pas avec mes potes, j'allais dans un bar à hôtesses, et je faisais du table dancing... Le jeudi soir, je m'appelais Sofia.

Simone s'assoit dans le fauteuil, presque obligée par le poids de ce qu'elle vient d'entendre. Elle passe machinalement la main dans ses cheveux, regarde Raoul de la tête au pied et marmonne :

- C'est pas possible, c'est pas possible, je vais me réveiller...

- Tu es déçue... Je te déçois n'est-ce pas ?

- Ah mais pas du tout, j'étais pressée de rentrer pour me jeter dans les griffes de mon ours et je vais finir par faire les ongles à ma nouvelle meilleure copine, je suis ravie...

- Tu mets quoi comme vernis toi ?

- Bon, écoute Raoul, ça va pas être possible là... Tu vas m'enlever ces chaussures, déjà, tu vas te mettre en caleçon, et je t'ordonne de le laisser traîner dans la salle de bain demain matin !

- J'ai un string...

- Mais merde !!!! Tu vas mettre un caleçon immédiatement ! Et un t-shirt ! Tu vas mettre tes fesses dans le canapé, tu vas lire le journal, tu vas manger ce que JE vais te préparer et t'installer devant la télé juste après la dernière bouchée, et tu vas me faire l'amour en me claquant les fesses aussi fort que tu voudras ! Tu pourras même m'appeler par tous les noms qui te passent par la tête ! Et tu pourras t'endormir dès que tu auras pris ton petit plaisir !Je ferai la vaisselle et le ménage et demain je t'apporterai les croissants au lit ! Et le journal !

- Tu ne le supporterais pas au bout d'une journée. Et puis de toutes façons, je n'ai aucune envie de faire tout ça, j'ai envie d'un spa, de mettre des crèmes, de me faire masser, d'aller chez le coiffeur, d'essayer des tenues, de boire du champagne...

- Mais pas du tout ! J'adore faire ça, c'est juste que ça m'énerve que tu fasses comme si c'était normal que je le fasse. Mais entre faire ça et prêter mes fringues à mon mari pour qu'il se dandine sur des tables devant des hommes d'affaire aussi gras que vicelards qui vont fantasmer sur MON string alors que je ne suis même pas dedans, mon choix est vite fait vois-tu ! Je préfère largement que tu trouves normal qu'une femme fasse tout pour son mari, la maison et tout le reste ! D'ailleurs, ça me manque déjà...

Raoul enlève ses chaussures, les fait valser dans le salon et crie :

- Et ben voilà ! Tu vois que tu adores ton quotidien de femme dévouée finalement... Alors ? Qu'est-ce qu'on mange mon Angelina chérie ? Comment tu sais pour Angelina d'ailleurs ? C'est fou ça ce sixième sens que vous avez... C'est génial que tu me laisses m'endormir après mon petit plaisir parce que demain, on a une édition spéciale "élections" il faut que je sois au bureau à huit heures. Tu me fais des pâtes ? Le match commence dans deux minutes et j'ai un article de France-Soir à lire absolument. T'es un amour...

- Dégage...

- Mais... mon amour...

- Dégaaaaaaage !!!

- Mais tu me dis toujours que pour te comprendre il faut que je me mette dans tes pompes, que je ne me mets jamais à ta place, et que...

- Raoul, si tu es encore là dans trente secondes, je te jure que je vais tellement t'enlever tout ce qui dépasse que tu vas vraiment t'appeler Sofia pour le restant de tes jours...




Franck Pelé - Juillet 2012 - Textes déposés.


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