lundi 30 juillet 2012

L'amour à la plage



Il fallait traverser quelques rochers pour aller jusqu'à la plage. Simone était magnifique dans son nouveau maillot de bain deux-pièces. Il était à peine neuf heures, il n'y a jamais personne à cette heure-là. Raoul était déjà allongé sur le sable fin, il avait pris toutes les affaires, de la lecture, des mots croisés, de la crème solaire, deux chapeaux de paille, le parasol et une petite glacière. Simone étale sa serviette, puis elle se met à quatre pattes pour bien tendre chaque angle et enlever le sable, elle aime bien quand sa serviette est parfaitement tendue, sans plis, sans grains. Raoul lui lance alors :

- Bon, ça va là, elle est bien comme ça, allonge-toi maintenant...

- Pardon ?

- Déjà que ton maillot est minuscule, si en plus tu appâtes le vicelard, ça va se finir en lancer de pied de parasol.

- Tu me fais ta petite crise de juillet Raoul ? C'est notre premier jour de vacances, j'ai travaillé comme une dingue toute l'année, on a roulé pendant huit heures hier, il a fait 32 dans la chambre cette nuit, t'as ronflé comme une tronçonneuse, alors si tu pouvais me lâcher la ficelle deux secondes, j'adorerais !

- Oui bah si tu continues, ils vont être plusieurs sur la ficelle ! Je te fais pas de crise, je dis juste que tu peux faire ça allongée aussi. Là, on dirait un produit en tête de gondole !

- Et toi, avec ton maillot moulant, on dirait que tu fais une promo sur le boudin aux pommes ! Est-ce que je te demande de te mettre sur le ventre ? Non ! Alors mets de la crème, et bronze !

Quelques instants plus tard, une femme arrive sur la plage, à l'autre bout. Elle a un gros sac, un chapeau et un paréo. Elle regarde partout. Tous les deux mètres, elle va pour s'installer, puis elle se ravise, et se rapproche de l'endroit où lézardent Simone et Raoul.

- Regarde-la celle-là... Tu peux être sûr qu'elle va venir se coller comme un chewing-gum...

Au bout de cinq minutes, la femme, une italienne, la quarantaine, vient poser sa serviette pratiquement contre celle de Simone. On ne pourrait pas mettre une serviette entre les deux.

- Vous pouvez vous allonger sur moi si je vous gêne...

La femme répond, dans un français plutôt maîtrisé mais avec un fort accent italien :

- Pardon mais c'est là que je veux me mettre, c'est le meilleur endroit, d'ailleurs, c'est là que vous vous êtes installés non ?

- Parce que si vous vous promenez dans ma rue et que ma maison vous plaît, vous vous installez dans le jardin ?

- Mais elle n'est pas à vous la plage, je peux me mettre où je veux quand même !

- Mais enfin c'est incroyable ça ! Il y a 800 mètres de plage, de la place partout, mais non, il faut que posiez vos fesses dans mon espace de tranquillité !

- C'est marqué où que c'est votre espace ?

Simone se retourne, folle de rage, et marmonne :

- Laisse tomber grosse conne...

- Je vous ai entendue vous savez !

- Ah oui ? Ça m'étonne... Vous êtes tellement loin... Vous arrivez à m'entendre à cinquante centimètres ? Quelle oreille !

- Je ne suis pas grosse, je suis pulpeuse. Vous par contre...

- Raoul, fais quelque chose ou j'en fait des lasagnes de la ritale... Raoul ?

- Je fais mes mots croisés...

- Attends... T'as vu comment elle me parle ? Et toi tu dis rien ? Ça ne te dérange pas qu'elle soit collée à nous alors que la plage est vide ? Tout va bien... Tant que tu fais tes mots croisés, mon confort t'intéresse à peine...

Raoul souffle, se redresse, et apostrophe l'italienne :

- Excusez-moi... Comment vous appelez-vous ?

- Denise

- Très bien Denise, enchanté, Raoul. Auriez-vous l'extrême bonté de vous décaler un peu plus loin afin que nous puissions avoir un peu d'intimité ?

Denise regarde Raoul, dans les yeux d'abord, puis descend jusqu'à la promotion moulante :

- D'accord si vous acceptez de me mettre de la crème dans le dos...

Simone, qui n'a rien raté du voyage des yeux italiens :

- Ah non, désolé mais mon mari ne met de la crème que sur les corps élégants et sensuels, il n'est absolument pas formé pour la vulgarité qui déborde...

Puis marmonnant encore :

- Raoul, tu bouges un orteil et tu ne me touches pas des vacances...

- Oh ça va, c'est juste de la crème dans le dos... Si elle faisait seins nus encore...

Au même moment, Denise enlève son soutien-gorge, libérant une poitrine imposante qui fait déglutir Raoul :

- C'est vrai qu'elle est pulpeuse quand même...

- Raoul, tu me traitais de tête de gondole y'a deux secondes parce que j'étais à quatre pattes, et là, l'autre sangsue exhibe ses ballons gonflés à l'hélium et toi t'es en extase ? A propos de gondole, c'est mes yeux où ton maillot gondole un peu ?

- Hum.... pas du tout... Aucun rapport... C'est ton nouveau maillot, plus je le regarde, plus il me fait de l'effet...

- Je rêve... Il est comme un clébard devant une pouffiasse transalpine...

- C'est qui la pouffiasse transalpine ?

- A ton avis Mamma Chaudasse ?

Une ombre se rapproche alors, Simone met ses mains en pare-soleil, et aperçoit un grand noir, qui s'agenouille et embrasse Denise à pleine bouche. Il est italien lui aussi. Il a apporté un grand poste de radio, il l'allume, et retourne sur les lèvres de son amie, n'hésitant pas à lui pétrir les seins pendant que la radio hurle d'insupportables chansons de variété italienne.

- Putain mais c'est pas possible ces ritals !!! Partout où ils vont, il faut qu'ils hurlent, qu'ils viennent avec tout leur bordel, qu'ils se touchent, qu'ils s'exhibent, qu'ils se collent, et la radio, et le chien, et les chaises de camping, et ça parle comme si le monde entier devait les entendre !

L'italien :

- Vous êtes raciste ?

- Je ne suis pas raciste, je suis étrangiste ! Je n'aime pas les étrangers, surtout les étrangers à la politesse, au respect ! Je n'ai aucun problème avec les races, j'adore toutes les couleurs, d'ailleurs, je dors toujours la porte fermée c'est bien la preuve que je n'ai pas peur du noir, si vous voulez passer un soir...

Raoul :

- Mais t'es pas bien Simone ? Qu'est-ce que tu fais là ?

- Vous voulez bien me mettre de la crème dans le dos Monsieur... Monsieur ?

- Vittorio

- Simone, enchantée... Comment trouvez-vous mon maillot de bain Vittorio ?

- Il est superbe mais il gâche un peu le spectacle qu'il enferme...

- Simone, qu'est-ce que tu fais ???

- Je drague le beau black, je laisse ta gondole à Denise ! Laisser ce spécimen perdre son temps sur une baleine c'est donner du chocolat à une cochonne !


Denise s'empara d'un pied de parasol pour harponner Simone, Raoul en fît de même pour régler son compte à Vittorio. Mais Vittorio courait vite, même avec Simone dans ses bras.

Le lendemain, la plage était déserte.

Il ne faut jamais trop s'approcher de l'intimité des gens, ça les dérange, et surtout, ça réveille les manques. Ou ça les révèle.






Franck Pelé - Juillet 2012

2 commentaires:

  1. Oh! la gondole à Denise!j'irais bien faire un petit tour sur les canaux avec Raoul...

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  2. Quelle scène ! Digne des comédies italiennes des années 60, je les entends crier d'ici avec l'accent ! Bravo,Franck !

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