samedi 21 avril 2012

Consultation intime




Raoul était psy depuis quelques années déjà. Mais jamais il n'avait rencontré une femme comme elle. Dès leur première séance, la voix de Simone avait eu un effet absolument envoûtant sur le praticien, quasi hypnotique. Dès qu'elle parlait, il sentait le besoin de s'allonger, pour être au plus près d'elle, dans la même position. Et pendant qu'elle parlait, il fermait les yeux, comme elle, comme s'il voulait la retrouver dans sa dimension la plus intime, l'épouser au plus profond. Il se souvient de la première fois :

- Pourquoi avez-vous pris la décision de venir chez un psy Madame ?

- Ma vie est faite de hauts et de bas, mais je dois avouer que je n'ai pas eu le vertige depuis longtemps.

- Comment vous appelez-vous ?

- Simone.

- Me permettez-vous de m'allonger moi aussi pour vous écouter ? Votre voix invite à se fondre totalement dans les méandres de votre être. Fermez les yeux, je vais fermer les miens avec vous.

- Vous faites ça souvent ?

- Quoi ?

- Vous allonger près de vos confidentes ?

- C'est la première fois.

- Vous me promettez ? Vous ne faites pas cela avec toutes les femmes qui s'allongent sur ce divan ?

- Même si j'ai fait le choix d'une science assez loin d'être exacte, j'ai une haute estime de la vérité et de la transparence. C'est la première fois qu'une voix me donne envie de m'allonger moi aussi, et de fermer les yeux pour mieux voyager avec elle. Pour mieux la comprendre. Je vous le promets.

- Très bien. Fermons les yeux. Où en étais-je ?

- Vous parliez de votre manque de vertige.

- Ah oui. Je vous disais que ma vie était faite de hauts et de bas.

- Parlez-moi de vos bas Simone.

Simone se relève en trombe :

- Je croyais que vous fermiez les yeux !

Raoul se relève à son tour :

- Mais j'avais les yeux fermés là !

- Alors comment vous savez pour mes bas ?

- Mais c'est vous qui venez de m'en parler !

- Je ne vais pas chez le psy pour lui parler de mes dessous ! Je sais bien que je viens déshabiller mon âme mais quand même !

- Mais je ne parlais pas de ces bas là ! Je parlais des bas de votre vie !

- Oh ! ..... évidemment, là... C'est ballot... Je me sens un peu idiote...

- Et moi plus tout à fait concentré sur les sphères supérieures maintenant que je vous sais allongée en bas...

- Reprenons. Puis-je vous parler un peu du sommet de mes émotions pour en comprendre la source ?

- Pas tout de suite. Aujourd'hui, j'ai vraiment besoin que vous enleviez le haut pour que je puisse travailler sur le bas.

- Quel est votre prénom ?

- Pardon ?

- Votre prénom.

- Raoul.

- Raoul... Je crois que je vais partir, vous me faites un effet... D'une puissance incontrôlable... Et si je reste, je vais vous embrasser.

- C'est contraire au règlement Madame.

- Embrassez-moi Raoul.

- Je ne peux embrasser une patiente Madame.

- Ça tombe très bien... Je suis tout le contraire...


- Que voulez-vous dire ?

- Je suis extrêmement impatiente...





Franck Pelé - Avril 2012 - textes déposés à la SACD



Des chevaux sous le capot




- Bonjour Simone !

- Bonjour Monsieur.

- Quelle amusante petite voiture... Elle est à vous ?

- Oui, enfin à mon mari, c'est lui qui l'a dessinée.

- Vraiment ? Vous le féliciterez de ma part. C'est un projet très intelligent, une voiture minuscule... ça se gare partout !

- Oui, d'ailleurs mon mari voudrait l'appeler la Smart mais il trouve que ce n'est pas un nom pour notre époque. Moi je trouve ça joli comme nom "Smart"...

- C'est vrai... Et puis pour une fois que l'intelligence serait conduite par une femme...

- Pardon ?

- Ah ah ah !!! Je plaisante Simone !

- Oh... vous m'avez fait peur Monsieur... Ce n'est pas que je suis féministe mais j'ai un peu de mal avec les caricatures...

- Féministe ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

- C'est le contraire d'hoministe.

- Jamais entendu parler non plus.

- Vous par exemple, vous êtes un hoministe. Vous pensez beaucoup de bien des hommes.

- Pas vous ? Nous sommes quand même très forts ! Une femme ne pourrait jamais entreprendre et réussir comme un homme, il faut du caractère, de la force, de la personnalité, de l'organisation, bref, il faut être un homme, croyez-bien que je le déplore mais c'est comme ça... Donc être féministe c'est penser beaucoup de bien des femmes ?

- C'est en penser plus de bien que les hoministes en tout cas.

- Vous ne seriez pas en train de me traiter de macho quand même ?

- Ah noooon ! Un hoministe, ça sait prendre du recul, c'est intelligent, ça se rend compte à quel point la femme pourrait être son égal dans un monde différent. Mais c'est bien content de vivre dans son monde quand même...

- Rien compris... Bien. Avez-vous fini de taper le rapport sur le bilan fiscal ?

- Oui Monsieur.

- Très bien.

- Excusez-moi Monsieur...

- Oui ?

- Votre grosse voiture là... Vous en êtes content ?

- Elle est splendide n'est-ce pas ? J'ai la plus grosse de la société !

Simone, marmonnant :

- C'est bien la première fois...

- Vous dites ?

- Je dis que c'est la première fois que je vois une voiture aussi belle !

- Elle a les sièges en cuir et la direction assistée.

- A quoi ça sert la direction assistée ?

- C'est génial... Tout devient plus facile, vous tournez votre volant avec deux doigts, vous n'avez plus besoin de mettre toute votre force sur le cerceau pour faire un créneau. C'est fluide, l'intelligence au service de l'homme. Bref. Une preuve supplémentaire que l'homme peut inventer des choses qui sont absolument incompréhensibles pour les femmes. Vous en parlerez à votre mari, il vous expliquera.

- Mon mari ? Si je lui explique comment vous parlez des femmes en général, et de moi en particulier, je pense qu'il vous explosera votre grosse tête.

- Plaît-il ? Mais qu'est-ce qui vous arrive Simone ? Comment osez-vous parler de ma tête ainsi ! Elle n'est pas grosse ma tête d'ailleurs ! Qu'est-ce que c'est que ces salades Simone ?!! Voilà, c'est parti, vous conduisez une voiture alors vous vous prenez pour...

- ... un homme ? Et bien dites-le !

- Simone ça suffit !!!

- Je ne suis plus toute jeune mon pote mais j'ai encore assez d'énergie pour te la mettre moi-même au carré ta grosse tête, et pour le coup, je te jure que t'auras la plus grosse de la société !

- Mon pote ??? Simone, vous êtes virée !!!

- C'est pas vrai ? Oh mince... Mais comment tu vas faire mon gros pour t'en sortir ? Sans moi tu ne sais rien faire ! A part donner tes ordres et faire croire aux clients que toutes mes idées sont les tiennes !

- J'ai fait sept ans d'études, et vous n'êtes qu'une assistante ! Et arrêtez de me tutoyer !

Simone s'avance vers son patron, le prend par la cravate et lui lance, droit dans les yeux :

- Je suis une assistante de direction ! Tu n'es donc qu'une direction assistée. Et si j'en crois tes mots de tout à l'heure, je suis un peu l'intelligence au service de l'homme, tout devient plus facile, plus fluide...

Puis en lui lâchant la cravate :

- ... je te laisse, tu vas avoir besoin de toutes tes forces pour faire tourner cette entreprise...




Franck Pelé - Avril 2012 - textes déposés à la SACD



Sevrage pour Raoul




- Alors ça y est...

- Il fallait bien que ça arrive Raoul...

- Tu veux me sevrer...

- Raoul... J'ai trente-sept ans, j'ai une carrière moi ! Je ne peux plus me permettre de te laisser boire au sein de notre couple, tu abîmerais mon image.

- Ton image ? Mais en quoi ça te fait mal que j'aime téter ma boisson préférée ???

- A quarante ans je pense qu'il serait peut-être temps que tu prennes un verre...

- J'ai le cœur qui saigne là tu vois Simone... Tu ne peux pas me faire ça...

- Oui et bien moi non plus tu ne peux pas me faire ça ! Alors tu arrêtes ta dépendance ! Tu prends un verre et tu commences un nouveau combat, debout ! Un verre et contre tout !

- J'aimais bien boire sur tes genoux moi... Ça bat tellement fort dans ma poitrine... J'ai mal... Donne m'en un dernier... Comme avant...

- Ma poitrine ne supporterait pas plus que la tienne que tu continues de te comporter comme un enfant !

- Un enfant ? Parce que tu connais beaucoup d'enfants qui boivent du Jack Daniel's toi ?

- Au biberon aucun !!!




Franck Pelé - avril 2012 - textes déposés à la SACD



Une belle descente




- Oh pardonnez-moi Madame...

- Je vous en prie.

- Vous montez ou vous descendez ?

- Pardon ?

- Je parle à votre main...

- Elle descendait. Mais elle pensait être seule avec moi.

- Ah.

- Et vous ?

- J'étais aussi parti pour descendre mais je me suis trompé de porte, et puis là, vous venez de changer mes plans...

- Vos plans ?

- Oui, enfin ma géométrie quoi... Je crois que je vais monter finalement...

- Nous n'allons donc pas dans la même direction. Vous n'aurez qu'à prendre la suivante.

- Quelle suivante ?

- L'ouverture suivante.

- Je n'ai rien à faire d'une ouverture, et encore moins d'une suivante ! Moi c'est votre fermeture qui me plaît.

- C'est dommage, j'étais justement en train de l'ouvrir... J'ai bien peur que nous allions dans des directions opposées...

- Mais si vous descendez et si moi je monte, nous sommes faits pour nous rencontrer non ?

- Comment pourriez-vous le savoir si tôt ? Vous me connaissez depuis deux minutes.

- Parce que je suis sûr que vous ne vous ouvrez pas si facilement.

- Non. Je suis d'un naturel plutôt réservé.

- Et c'est réservé à quel nom ?

- On ne mange plus à ma table depuis quelques mois... Allons, cessons ce jeu dangereux cher ami, je ne faisais que me changer dans un bureau que je pensais vide. Vous voulez bien fermer la porte s'il vous plaît ?

- Fermer la porte ? Vous refermeriez la porte après avoir découvert un trésor vous ?

- Flatteur... Il vous faudrait être très patient pour me convaincre. Je me méfie des hommes qui montent trop vite...

- Et moi des femmes qui ne prennent pas le temps de descendre. Vous êtes un trésor parce que la grâce avec laquelle vous faisiez glisser cette fermeture... j'avais l'impression d'assister à la naissance d'une fleur... C'est la première fois que je vois une fermeture éclore...

- Touchée...

- Vous avez besoin de ma patience ? Sachez Madame que je serai là chaque jour, chaque nuit, de l'ouverture à la fermeture, de la fermeture à l'ouverture, et je...

- Comment vous appelez-vous ?

- Raoul, Madame...

- Regardez dans ce buffet Raoul, il y a un mini-bar, vous nous serviriez deux coupes de champagne ?

Avant que Simone ne change d'avis, Raoul fonce vers le buffet, sort une bouteille de Ruinart, sert deux coupes, et s'avance, les verres à la main, vers sa douce géomètre qui lui lance :

- Buvez les deux coupes pendant que je finis de dé-zipper ce dossier qui semble tant vous intéresser, si vous les finissez avant que ma jupe ne tombe sur mes pieds, vous pourrez profiter d'une ouverture exceptionnelle.

- Ah bon ?

- Je suis rarement ouverte un dimanche... Dépêchez-vous, je n'ai plus que quelques crans à faire céder...

Raoul regarde la main de Simone qui a déjà enclenché le mouvement final, il boit les deux coupes d'un trait, Simone baisse sa fermeture aussi vite, et juste avant que la jupe ne tombe aux pieds de la belle, il hurle :

- Fini !

Simone se retourne, ses yeux ont une couleur aussi exceptionnelle que la qualité du regard qu'elle offre à son invité surprise. Dans un sourire à faire tomber toutes les fermetures du monde, elle dit à Raoul :

- Quelle belle descente...

- C'est exactement ce que j'allais vous dire...





Franck Pelé - avril 2012 - textes déposés à la SACD

Simone à la bonne heure



- C'est fou comme tu es réglée comme du papier à musique Simone...

- Aaaaaaaaaah... j'ai superbement bien dormi... Pourquoi tu dis ça chéri ?

- J'ai accroché un cadran horaire derrière toi, parce que j'ai remarqué que ton corps épousait parfaitement le temps. Par exemple, là, tu te réveilles, tu étends tes bras d'une certaine façon, et c'est complètement dingue parce que tu donnes l'heure exacte !

- Comment ça je donne l'heure exacte ?

- Il est sept heures ! Ton bras droit est sur le sept et ton bras gauche sur le douze !

- C'est un coup de chance Raoul...

- Mais non Simone ! Tous les matins c'est comme ça ! Et le week-end, tu te réveilles à neuf heures et quart et tu t'étires en étendant tes bras à l'horizontale ! Et tu donnes encore l'heure exacte !

- Un quart.

- Pardon ?

- On dit neuf heures un quart.

- Oui bah plus personne ne le dit alors je dis "et quart". Tu dis je vais revenir tantôt ou je vais revenir plus tard ?

- Heu... plus tard...

- Merci. Tu vas faire des emplettes ou tu vas faire des courses ?

- Bon d'accord, neuf heures et quart...

- Bon...

- Raoul...

- Quoi ?

- Tu sais de quoi j'ai envie là ?

- Dis-moi...

- ...que tu me mettes les jambes à dix heures dix...

- Simone...

- Tiens mets-toi sur le dos, je vais te montrer comment je maîtrise le cadran solaire...

- Simone !!!

- rrrroooo.... arrête de faire ton coincé Raoul... Dans deux minutes, tu vas me parler comme un sauvage... Et puis tous les hommes adorent ce jeu du cadran solaire, surtout au soleil couchant, quand les ombres s'allongent, ça flatte leur ego...

- Qu'est-ce que tu veux dire par "tous les hommes" ?

- Han !!! T'as vu l'heure Raoul ? Il est sept heures et quart ! Tu aurais pu me prévenir, je vais être en retard maintenant ! Remarque c'est le problème avec le cadran solaire, ça donne pas l'heure immédiatement...

- QU'EST-CE QUE TU VEUX DIRE PAR "TOUS LES HOMMES" SIMONE ???

- Mais je disais ça comme ça ! C'est une amie qui m'a raconté ça, elle est avocate spécialisée dans les divorces et forcément, des histoires de cul, elle en entend un paquet...

- Quelle amie ? Où est-elle avocate ?

Simone se déshabille, fonce dans la salle de bains prendre une douche, referme la porte derrière elle et hurle à travers la porte :

- Au barreau !

Raoul déglutit, s'adosse contre le cadran derrière la tête de lit, bien droit, la tête sur le douze, et commence à donner des petits coups de tête en arrière, contre le cadran, sans s'arrêter, boum, boum, boum... Alertée par le bruit, Simone sort de la salle de bains :

- Raoul, mais qu'est-ce que tu fais ? Raoul !!!

Raoul continue son imperturbable cadence, boum, boum, boum... Simone décroche le téléphone :

- Docteur ? C'est Madame Langlois, vous devriez venir Docteur, je crois que Raoul est passé à l'heure d'hiver... Non, je veux dire qu'il est complètement déréglé ! On dirait qu'il est possédé !

Raoul arrête brusquement son balancier à résonance crânienne, ses yeux redeviennent très expressifs et il hurle :

- Je vais très bien, raccroche !

- Mais qu'est-ce que tu as ?

- J'essayais d'entrer en contact avec ton ami...

- Mon ami ? Quel ami ?

- Le démon de midi !!!




Franck Pelé - avril 2012 - textes déposés à la SACD

samedi 7 avril 2012

Onde sensuelle



Simone,

Sous le chagrin d'une nature sensible de ne pouvoir nous voir nous aimer, une nature qui voudrait noyer ma détermination dans son lac artificiel, je sors une main pour respirer, et pour t'écrire. Jamais pléonasme ne m'a paru si précis...

De ma main, je veux t'écrire cet amour dont je suis plein, et plutôt que le laisser exploser dans un tsunami difficilement maîtrisable, je veux le distiller dans une onde, profonde, musicale à force d'élégance, légère, une onde au long cours, infinie et sauvage, comme un courant qui ne cesserait de couler jusqu'à toi.

Je t'écris mon onde mon amour, pour te dire tout ce que serait mon monde sous tes frissons. Je t'ai vu nager dans ce lac, avec cette grâce que toi seule sais exprimer. Je t'ai vue nager, assez pour comprendre immédiatement le langage des cygnes. Tu n'étais pourtant pas muette, tu hurlais ta beauté sans émettre un son. Puis tu as repris ton chemin.

Mais tu n'es pas loin. Tu n'es jamais loin. Toujours sur la rive du moindre courant porteur de notre énergie unique. Aujourd'hui le lac dessine. Pour toi. Le trait majestueux qui nous lie, comme une courbe ascendante, comme la naissance d'une vague dont toujours tu sentiras l'écume. Que tes eaux soient dormantes ou bouillonnantes, reçois cette onde sensuelle qui rendra au cygne la sérénité majestueuse de l'étendue de son monde.

Dans le monde du silence, une main écrit le début d'un voyage. Un voyage autour d'une onde...



Franck Pelé - Avril 2012

mardi 3 avril 2012

Imbu de pouvoir



La grande multinationale dans laquelle Simone et Raoul travaillent vient de connaître de profondes mutations. Alors que Simone reste à son poste de rédactrice et standardiste, Raoul a été nommé directeur général. Simone vient frapper à la porte du gigantesque bureau de Raoul :

- Oui, qui est là ?

- C'est moi Raoul ! Alors, c'est bien ? Tu es content ? Je peux entrer ?

- Je consulte un dossier important Simone, revenez en fin de matinée s'il vous plaît.

Simone ouvre la porte d'un geste franc, les sourcils aussi froncés que ses intentions. Raoul pousse alors vers l'intérieur la jambe de la femme assise sur son bureau.

- Depuis quand tu me vouvoies ? Et c'est qui cette pouf ?

- Simone, je vous en prie, je ne tolérerai aucune familiarité au sein de l'entreprise ! C'est Brigitte, mon assistante personnelle.

- Ton assistante personnelle ? Pourquoi tu lui refermes les cuisses à ton assistante personnelle ? C'était ça le dossier important que tu consultais ?

- Absolument ! Brigitte me montrait l'effet de notre nouvelle collection de dessous sur un être vivant, c'est beaucoup plus parlant que sur un mannequin totalement inexpressif.

- Pourtant, tu t'y connais en palpation de mannequin inexpressif !

- Arrêtez de me tutoyer Simone ! Ici, je suis votre chef ! Et Brigitte n'a pas à savoir quoi que ce soit de ma vie privée ! Et puis vous êtes loin d'être inexpressive quand je m'occupe de vous ma chère, pardonnez-moi...

- Je parlais de ta poupée gonflable, celle avec qui tu dors quand je pars trois jours chez ma mère.

- Bon, Simone, que voulez-vous ?

- Je venais voir comment tu... pardon... comment vous étiez installé Monseigneur...

- Voilà, voyez par vous-même, j'ai un bureau à l'image de mes responsabilités.

- Mais comment le pouvoir peut-il changer un homme à ce point...

- Plaît-il ?

- Je dis que tu as surtout un bureau à l'image de ton ego et du gigantisme de ta connerie !

- Raoul vous a dit de ne pas le tutoyer Madame Simone...

- Oh mais elle parle la pouf ? Je croyais qu'elle était aussi vide que le dossier qu'elle propose ! Alors toi, c'est la dernière fois que tu m'adresses la parole, tu me dis encore UN mot et je te plie tes belles jambes dans l'autre sens. Ton patron sera ravi, il pourra te poser sur son bureau dans de nouvelles positions...

- Simone !!! Arrête immédiatement ! Tu ne me respectes pas en tant que chef !!! C'est toi qui as tort !

- Je ne te respecte pas en tant que chef ? C'est la meilleure celle-là... Je ne te respecte pas en tant que chef ??? Et d'où tu me tutoies d'abord ? Tu ne respectes pas ton personnel ! Tu veux que je te dise Raoul ? T'es qu'un chef de gare avec ta potiche qui sait à peine compter les trains qui lui sont passés dessus. Elle, dès qu'elle a un ticket, allez hop, elle composte ! Tu n'as aucune légitimité pour ce poste, tu as juste gagné à un concours de circonstances mon chéri ! J'ai dix fois plus de talent que toi pour ce service, mais je suis une femme, alors on me croit faite pour répondre au téléphone ou écrire des lignes que tu reprendras à ton compte.

- N'importe quoi...

- Non, c'est exactement ça ! Tu es là depuis deux jours, regarde cette horrible caricature que tu es devenue ! Et demain, tu feras quoi ? Tu viendras dans mon bureau, et devant tes dirigeants tu me feras des remarques désobligeantes pour me décrédibiliser dans le seul but de te faire mousser ?

- Je suis ton chef, tu dois me respecter en tant que chef.

- Mais qu'est-ce que tu veux Raoul ? Que je te lèche les pieds ? Tu es si dominé avec moi dans ta vie privée que tu ressens ce besoin de grandeur et de pouvoir ? Pourtant tu aimes bien quand je te domine parfois. Tu as raconté à Brigitte que tu aimais être attaché avec les yeux bandés ?

- On ne peut pas mélanger les histoires de cul et le boulot Simone ! Pardonnez-moi Brigitte...

- Je vous en prie Monsieur...

- Ah bon ? C'est pourtant ce que je fais avec toi mon coco !

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire que ça fait quelques mois que j'ai l'impression d'aller à l'usine quand je m'allonge Ô grand Chef ! Je regarde l'horloge en attendant la sonnerie ! Et quand je fais des heures sup', je suis même pas payée ! Avec ton petit rythme de machine pneumatique en fin de vie, j'ai l'impression d'être une voiture sur une chaîne de montage qui ne sera jamais terminée !

- Bon, j'appelle la sécurité.

- Tu es un jaloux Raoul, un aigri. Et tu n'as aucune confiance en toi. Tu t'inventes un personnage puissant parce que tu as un poste puissant. Mais c'est du vent ton titre, du vent ! Tu ne seras pas un meilleur homme parce que tu grimpes sur l'échelle de la société. Et tu ne le seras pas plus si tu grimpes sur ton assistante... Les meilleurs dirigeants sont ceux qui savent rester humbles, honnêtes avec les autres et avec eux-mêmes, à l'écoute, forts et incorruptibles. Ils savent reconnaître le talent de leurs troupes, et savent le mettre en valeur. Les mauvais chefs sont ceux qui n'ont de cesse de minimiser le travail de leurs hommes, je ne parle même pas de leurs femmes, ils ne pensent qu'à protéger leur statut, leur image forte, ils se pensent au-dessus des autres parce qu'ils ont su grimper dans la hiérarchie. Quand on rappelle à son collaborateur son statut de chef, c'est qu'on est tout petit, qu'on a plus d'arguments pour étouffer la grandeur de l'autre, celle qui vous gêne, qui vous fait de l'ombre. Dans ton bureau gigantesque, tu es devenu tout petit Raoul...




Franck Pelé - Avril 2012 - Textes déposés - Droits photos réservés.

La route




- Mais... C'est impossible...

- Vous voyez que j'avais raison...

- Mais non c'est impossible, je l'ai prise cent fois cette route ! Et elle est toujours arrivée quelque part !

- Bah oui mais là, elle ne va nulle part...

- Mais puisque je vous dis que je l'ai prise cent fois pour rejoindre mon ex-mari !

- Vous êtes peut-être arrivée au bout du chemin. Il est temps d'en prendre un autre...

- Mais où ? On ne va quand même pas faire demi-tour ?

- Ah non ! Vous m'avez dit vous même tout à l'heure que vous ne reprendriez jamais cette route dans l'autre sens.

- Mais alors on n'a pas d'autre choix que celui de continuer tout droit ?

- Voilà...

- Mais on est au milieu de nulle part !

- Voiiiiiiilà !!!

- Le problème c'est que vous venez de renoncer à aller nulle part... Vous êtes monté dans ma voiture parce que vous vouliez aller quelque part avec moi...

- Exact.

- Et ça ne vous inquiète pas ?

- Non. Nous allons continuer de rouler dans ce désert, peut-être devrons-nous finir à pied, nous allons apprendre à nous connaître, nous traverserons des tempêtes, des mirages, nous aurons chaud, froid, mais au bout d'un moment, nous arriverons forcément quelque part.

- Et ?

- C'est là-bas que nous nous aimerons.




Franck Pelé - Avril 2012 - Textes déposés - Droits photos réservés.

Body double



Quand Simone avance en société, elle est droite, sa carapace est aussi dure que le monde qu'elle traverse, mais dès qu'elle revient dans l'intimité, elle s'abandonne, comme une sensualité absolue qui attend d'être embrassée.


Franck Pelé - Avril 2012

Nulle part ailleurs



Raoul commençait à sentir la tendinite gagner son bras, près du coude. Après plus de trois heures d'attente, une voiture s'arrête enfin :

- Ah merci Madame...

- Je suis désolée, je ne m'arrête pas pour vous prendre mais pour vous donner un conseil. Personne ne s'arrêtera jamais pour emmener quelqu'un qui ne va nulle part... Vous comprenez ?

- Quelqu'un qui NE va nulle part, probablement, mais moi j'y vais !

- Mais nous allons tous quelque part !

- Mais moi aussi ! Aller nulle part c'est, quelque part, aller quelque part, non ?

- Pardon ?

- Je veux dire... quand on va nulle part, on n'est pas immobile, on bouge, on voyage, même si l'issue est incertaine.

- J'entends bien ! Mais là, l'issue, elle n'est pas incertaine, elle est inconnue, on ne sait même pas où elle est, c'est donc compliqué de vous y emmener !

- Vous pensez que tous ces gens savent où ils vont ? Certains vont retrouver une famille qui n'en est plus une depuis longtemps, d'autres ont un rendez-vous de boulot dont ils ne savent rien et qui ne leur rapportera rien, d'autres encore roulent pour oublier, sans savoir où ils vont, très peu de gens savent où ils vont !

- Et vous, vous voulez aller avec eux là où ils vont, c'est ça ?

- Ah non, moi je veux aller là où est ma femme.

- Mais elle est où votre femme ?

- Justement, je ne sais pas, elle est partout, elle est nulle part...

- Bon, écoutez-moi Monsieur, allez vous reposer dans la station-service là-bas, prenez un café, et discutez avec les employés, eux, ils vous comprendront.

- Pourquoi ils me comprendraient ? Ils ne trouvent plus leur femme ?

- Parce qu'ils ne vont nulle part, ils travaillent là !

- Mais vous êtes bouchée ou vous le faites exprès ???

- Oh ça va hein ! Je m'arrête pour vous aider et vous m'envoyez paître !

- Vous ne vous arrêtez pas pour m'aider puisque vous allez quelque part où je vais et vous ne voulez pas m'y emmener !

- Mais comment vous pouvez savoir que je vais là où vous voulez aller puisque vous allez nulle part !

- Parce que ça se voit que vous êtes malheureuse... Si vous étiez aimée comme vous le méritez, vous ne vous seriez pas arrêtée, vous n'auriez pas eu le temps, vous auriez dévoré la route qui vous sépare de votre ailleurs, les yeux rivés sur l'horizon, quelque part au bord de l'amour...

- Mais qu'est-ce que c'est que ce mec ??? Vous sortez de nulle part et vous vous permettez de me juger comme si vous me connaissiez depuis toujours !!! Faut mettre de la crème hein, ça tape depuis ce matin !

- Ah excusez-moi mais je ne sors pas de nulle part, j'y vais. Vous pensez bien que si je m'y étais réveillé, je ne l'aurais pas quitté pour y retourner. C'est déjà assez compliqué de le trouver ! Allez... Vous m'emmenez ?

- Je ne peux pas Monsieur... Je suis désolée. Je vais quelque part moi...

- Vous allez où ?

- Récupérer mes enfants chez mon ex-mari.

- Vous êtes divorcée ?

- Oui.

- Et vous avez retrouvé l'amour ?

- Pas encore. Mais j'en ai retrouvé le goût.

- Vous savez donc où je vais !!!

- Pourquoi ?

- Parce que vous êtes revenue de nulle part ! Vous avez réussi ! Vous vous souvenez forcément de la route !

- Ah oui mais non... non, non... Cette route, je ne la reprendrai pas dans l'autre sens. J'avance maintenant. Vers cet horizon dont vous parliez tout à l'heure.

- Pourtant, quand vous allez vers votre ex-mari, vous reprenez bien un peu cette route en sens inverse non ?

- Pas tout à fait, c'est presque la même route, mais il n'y a plus de ligne blanche, plus de feux rouges, plus de radars, je suis beaucoup plus libre, et le voyage est plus serein.

- Comment peut-on laisser une femme aussi belle que vous au bord de la route...

- Arrêtez... Je ne vais pas où vous allez.

- Emmenez-moi...

- Comment voulez-vous que je vous emmène dans un endroit qui n'existe pas ???

- Mais il existe ! Ma femme m'y attend.

- Elle vous a quitté ?

- Non, elle est partie se ressourcer un peu...

- Oui... donc elle vous a quitté... Et elle est où votre femme là ?

- Elle a écrit à une amie commune qu'elle était dans la nature, perdue au milieu de nulle part.

- Ah... je comprends... A-t-elle écrit autre chose ?

- Oui. Qu'elle ne m'aimait plus.

- Comment vous appelez-vous ?

- Raoul.

- Votre sensibilité me touche Raoul. Et ma sensibilité de femme doit vous conseiller de ne pas perdre votre temps à essayer de la retrouver, arrêtez de vouloir aller nulle part. Même si vous la retrouviez, ce serait là-bas que vous iriez, et y aller à deux, c'est probablement encore pire.

- Je crois que vous avez raison... Et vous comment vous appelez-vous ?

- Simone.

- Est-ce que, si je renonce à aller là-bas, vous voulez bien m'emmener quelque part ?

- Où ça ?

- N'importe où. Depuis dix minutes que je suis dans vos yeux, je sais que je pourrais aller n'importe où avec vous.

- Montez...



Franck Pelé - Mars 2012

Triangle



Simone et Raoul viennent de crever sur l'autoroute. Raoul cherche son kit de sécurité partout. Devant le temps qu'il prend, Simone sort de la voiture en soufflant son exaspération, se positionne devant la voiture stationnée sur la bande d'arrêt d'urgence et déclenche un concert de klaxons et un feu d'artifice d'appels de phares en levant ostensiblement sa robe. Alerté par cette folie sonore et visuelle, Raoul sort en rampant de la banquette arrière sur laquelle il était allongé pour tenter de trouver son fameux kit :

- Mais qu'est-ce que tu fais Simone ???

- Le temps que tu trouves ton triangle, on a le temps de mourir dix fois ! Il se trouve que j'ai le mien sur moi, alors pour une fois que je peux m'en servir pour sauver des vies, j'en profite !

- Comment ça t'as le tien sur toi ? On parle d'un triangle de signalisation là ! Pas de ta culotte Pink Floyd !

- Oui bah regarde, apparemment les gens ils voient tous qu'on a un problème, ça veut bien dire que je signalise parfaitement.

- Les gens ils voient surtout que TU as un problème, et un gros ! Montrer sa culotte pour signaler un accident... Non mais je rêve là, je rêve !!!

- Arrête un peu de râler Raoul... Et puis ma culotte Dark side of the moon, ça fait belle lurette que je ne l'ai plus... Je l'ai jetée sur le visage de David Gilmour à Londres en 82 pendant The great gig in the sky...

- Mais de quel triangle tu parles alors ???

- De celui qui montre la plus belle facette de la lune...


Raoul prit Simone dans ses bras, la souleva pour qu'elle ne puisse plus toucher terre, et réussit l'attacher à son siège malgré ses protestations. Il démarra en trombe et dépassa pas moins de trente voitures qui venaient de se poser sur la bande d'arrêt d'urgence, juste un peu plus loin, feux de détresse allumés. On pouvait même apercevoir plusieurs conducteurs sortir de leur voiture et courir dans la même direction.

- T'as vu Raoul, c'est dingue tous ces gens en panne... Mais ils vont où tous ?

- A mon avis ils cherchent un triangle...

- Mais qu'est-ce que vous avez les hommes à ne jamais ranger vos affaires ? Ils n'ont qu'à demander à leur femme de faire comme moi, ça marche très bien.

- T'as raison, ça marche très fort ! Regarde ! Y'a trois bornes de bouchon ! Simone, tu es la seule au monde qui puisse avoir une idée pareille... Oui, ils ont tous un triangle, mais c'est le mien qu'ils veulent ! C'est comme ça !

- Oui enfin le tien... c'est quand même surtout le mien ! Les hommes ne prennent jamais soin de leurs affaires mais ils adorent piquer celles des autres, c'est dingue ça ! Accélère, j'ai un peu peur là.

- T'as un peu peur ? Tu nous fais Vison Futé sur le bord de l'autoroute et tu t'étonnes que ce soit classé noir dans le sens des retours ???

Raoul flingua sa roue avant gauche en roulant plus de vingt kilomètres avec le pneu crevé.



Franck Pelé - Mars 2012

Dis-moi ton prénom, je te dirai qui tu es




- C'est gentil de m'accompagner à la gare mon chéri...

- Tu vas me manquer... C'est long une semaine...

- Tu ne vas pas t'ennuyer, tu pourras jouer aux cartes tous les soirs.

- Oh non, beaucoup trop de travail. Et toi, tu ne vas pas t'ennuyer chez ton amie d'enfance ?

- Je ne crois pas, rien que dans sa rue, il n'y a que des gens incroyables.

- Ah oui ?

- Oui, figure-toi qu'elle connaît tous ses voisins, et chacun porte un prénom en rapport avec sa profession ou sa nature, c'est dingue non ?

- Je ne comprends pas...

- Et bien il y a Pierre par exemple, qui est maçon, Phil qui est électricien, Marco ne porte que des polos et bosse pour Internet Explorer et Barrack est agent immobilier. Y'a aussi Brad qui est brocanteur, Tom qui est fromager et Lila qui est fleuriste.

- Complètement idiot cette histoire...

- Et ce soir, on va toutes dîner chez le nouveau voisin d'Emma. Elle l'a rencontré la semaine dernière, il paraît qu'il est formidable.

- Et il s'appelle comment lui ?

- Nick




Franck Pelé - Mars 2012

Sensibilité féminine



De toutes les sensations jamais éprouvées en ce monde, donner la vie est sans aucun doute possible celle qui m’a le plus touchée, émue, bouleversée. Comme une réponse à toutes les questions existentielles, philosophiques, religieuses. Ces questions qui ne trouvent justement jamais de réponse définitive de notre vivant. Ce lien unique qui se crée pendant ces longs mois de grossesse, sentir cet être venant de nulle part, prendre forme, commencer son histoire, épouser son destin, à l’abri de mon ventre bienfaiteur et protecteur, oui, c’est la plus belle réponse qu’on puisse proposer au doute, à l’intérêt de notre passage, à celui de sa propre existence.

Je le sens grandir, tout doucement, mon bébé se nourrit de moi, je suis son nouveau monde. Il pousse en moi comme les fleurs les plus extraordinaires, des fleurs qui pousseront jusqu’au grand jour. Puis on coupera délicatement la tige qui le liait à moi, je garderai l’empreinte de sa présence, ses racines, comme une preuve que je suis les siennes, et on posera le bouquet sur mon ventre. Le vide à l’intérieur est immédiatement remplacé par le plein de grâce qui respire doucement sur moi. J’aurai du mal à faire le deuil de ce vide, je voudrai forcément me sentir encore pleine de cette extraordinaire force de pouvoir être une terre mère. Je donnerai ma vie pour ne jamais cesser de l’offrir.

Nous avons fait cet enfant à deux, mais la longue et épuisante expérience de cette aventure qui nous lie physiquement, mon bébé et moi, suffit à ne jamais souhaiter de vivre une histoire plus forte pour toucher au divin. Parce qu’il n’y a pas plus fort. Le Beau mérite sa majuscule. Le moment qui suit celui de la naissance, forcément douloureux, me fait voyager d’un extrême à l’autre. A la douleur succède le nirvana d’avoir réussi à donner la vie, à offrir le spectacle de la vie à ses yeux vierges de tout.

Dans ce minuscule corps, un cœur tout petit a multiplié la force du mien par mille. Ca y est, il est là, il existe, il va manger, boire, dormir, grandir, aimer, souffrir, aimer encore. Il ne sait rien et pourtant il semble déjà plus fort que moi. Sa force est ma faiblesse. Je l’ai porté neuf mois, comme on porte le plus précieux des trésors, jamais une mission n’a paru si périlleuse, jamais je ne me suis sentie plus responsable. Et quand il est né, j’ai rencontré l’absolu. L’absolu du sentiment, de la plénitude, du vide, du plein, de l’amour. Plus rien d’autre n’a de sens que cette essence de moi-même, une définition comme un petit cadeau égoïste que je m’offre avant d’être toute aussi fière de me raisonner et de me rendre à l’évidence que je n’aurais pu le faire toute seule. Plus rien n’a de sens, tout prend un sens, le bouleversement foudroie à tous les étages dans de splendides éclairs de douceur.

Je suis une maman. Je viens de toucher l’absolu. La magie unique de la maternité. Il me faudra un jour oublier que ce fût possible, que ce ne le sera plus, que mon automne m’interdira d’offrir le printemps. Je penserai alors à celui qui a permis que cette magie soit possible, il méritera tout mon amour, parce que c’est en moi qu’il a planté le sien. Et je me consolerai en pensant à la chance qui m’a été offerte. J’ai été une privilégiée. Si je devais l’oublier, il suffira que je me plonge dans les yeux de mon enfant. Je sentirais alors des courants d’amour dans mes entrailles, comme si les racines d’une fleur extraordinaire dansaient, comme si le lien n’avait jamais cessé d’exister.


Voilà ce que j’aurais écrit si j’avais été une mère un jour. Avec la certitude de vivre les sensations évoquées à l’instant.


Je suis un homme. Un père.




Je m'appelle Raoul.




Franck Pelé - Mars 2012

La fessée



- C'est assez excitant de lire les fantasmes des autres... Cette femme prend un plaisir incroyable dans la fessée, tu ne trouves pas ça fou Raoul ?

Alors que son mari amorce un geste parfaitement identifiable, Simone le coupe dans son élan sans même se retourner :

- N'y pense même pas !

- M'enfin Simone ! Tu m'envoies un message subliminal et dans la seconde qui suit tu me transformes en sublime minable !

- Mais n'importe quoi Raoul ! Ce n'est pas parce que je suis troublée par une expérience que je suis en train de lire que je veux forcément la vivre !

- Et bien si ! Justement ! C'est exactement la raison pour laquelle tu veux la vivre ! Mais je suis sûr que je n'ai pas le profil, c'est tout !

- Parce qu'il y a un profil du bon donneur de baffe inavouable ?

- Forcément, et tu le sais très bien ! Tu l'imagines musclé, brun, bronzé, jeune, fougueux, sachant ce qu'il fait et doté d'un magnétisme incroyable. Vrai ou pas vrai ?

- Mon amour, je t'adore, mais franchement, regarde tes gestes, tu es aussi maniéré que maladroit, je ne sais même pas si tu arriverais à faire du bruit avec ta claque, tu me respectes trop, comment tu veux que je m'évade avec une espèce de Gaston la baffe...

Raoul met alors une gigantesque claque, aussi sonore que franche, sur la fesse droite de Simone :

- Mais t'es malade ???!!!

- Tu as aimé ça hein... Tu viens de dire "comment tu veux que je m'évade", ça veut dire ce que ça veut dire, tu as envie de t'évader, de franchir tes limites... Rien de tel que le faire avec son mari adoré pour remettre du piment dans le couple...

Et Raoul d'en remettre une deuxième, pas moins vigoureuse, sur l'autre demi-lune de sa femme :

- Aïe !!!!!!! Mais t'es pas bien Raoul ou quoi ? C'est ton chapeau d'explorateur qui te pousse à découvrir tes recoins les plus cons ?

- On peut être maladroit dans certaines choses et très adroit pour d'autres... Tu adores la fessée, je le sens... Et je ne pensais pas être aussi doué pour la donner.

- Raoul, tu me mets encore une seule fois une fessée, je te promets que demain matin, tu te réveilles attaché au radiateur avec une boule en caoutchouc dans la bouche et un vibrant hommage dans le détroit de Gibraltar !

- T'es complètement dingue ma pauv' Simone... Tout de suite, la violence !

- Parce que tu te crois doux avec tes mains de bûcheron ? On dirait que tu tapes un paillasson pour le dépoussiérer ! Je sais que tu viens pas souvent mais quand même ! Une fessée, c'est sensuel, c'est l'expression d'un amour sans bornes !

- Ah oui ? Et comment le sais-tu ?

- J'imagine ! Et je viens de le lire.

- N'empêche que tu es violente et vulgaire avec ton radiateur et ta boule en caoutchouc !

- Pourquoi ? Tu es troublé ? Je suis sûr que tu aimerais ça... Mais peut-être n'ai-je pas le bon profil de la donneuse de frissons inavouables ?

- Tu n'es pas honnête ! Je suis sûr que tu ne me confies pas tes sensations les plus intimes, juste pour me garder à l'écart de tes fantasmes ! Avec ta réaction, je vais douter, et me demander si je ne vais pas avoir besoin d'une meilleure amante, qui ose me confier toutes ses douces folies.

- Peut-être que la confessée a besoin d'un meilleur confesseur !

- En un mot ?

- A toi de voir !




Franck Pelé - Mars 2012