vendredi 27 mai 2011

Sur la route



Je t'ai cherchée partout Simone...

J'ai parcouru le monde, j'ai suivi ton parfum, partout ton élégance, l'empreinte de ta beauté, dans toutes les couleurs, ta présence, dans tous les virages, tes courbes. J'ai suivi le soleil, j'ai cru souvent voir ton ombre, j'ai reconnu ton ciel, j'ai prié tes étoiles. Je sais que je suis juste derrière toi.

Je ne sais pas où tu es, je ne sais pas si tu te retourneras pour m'attendre, pour me retrouver, te retrouver, mais peu importe le chemin choisi finalement, tu seras toujours au bout de ma route. Laisse-moi te remercier ici ma chérie, de m'avoir fait découvrir la beauté du monde, et la magie de cette vie qui le permet. J'ai pris tellement de plaisir à défaire ces lacets pour retrouver ton corsage...

Je sais pourquoi tu es partie. Je suis parti te chercher pour les mêmes raisons. L'amour, l'insatisfaction chronique, et toujours, avec toi, la possibilité d'une île. Au bout de la route, forcément, la mer. Ne te retourne pas Simone, marche, cours, vole, et nous venge ! Au bout de la route, aucune chance pour l'amer.

En attendant, les arbres, les fleurs, les blés, les cailloux, le sable, la terre, et même le vide sont pleins de toi.

Simone, ton monde est sublime...

Je t'aime.



© Franck Pelé – 2011

Toute seule, là-haut, sur la montagne...


Dans la foule, un cri s'échappe :

- Simone, on t'aime !

Simone, sur scène :

- Moi aussi je vous aime...

Puis elle devient un peu plus grave :

- Merci pour votre amour, je m'en nourris, il m'équilibre, il me rassure... Vous savez, je n'ai jamais autant pris le temps de bien m'en imprégner que ce soir. Parce que je sais qu'il ne va pas durer.

- On t'aime Simone !!! Tu ne triches pas, on ne peut arrêter d'aimer une nature aussi belle dans ses fleurs que dans ses racines !

- Oh... Il y a un poète dans la foule... Ce doit être mon mari... C'est toi Raoul ?

Rire général. Simone reprend :

- C'est vrai, je ne triche pas. Mais ça ne vous empêchera pas d'arrêter de m'aimer un jour. Chacun connaît ce sentiment, dans sa carrière comme dans sa vie. Tout est question de mesure... J'ai adoré jouer la comédie, vous émouvoir, chanter pour vous pendant toutes ces années, vraiment. Mais là, je n'ai plus envie. Plus envie de sentir ces regards qui commencent à me dire "bon allez, on te connaît par cœur maintenant, on voudrait voir la petite brune du dimanche" ou encore "Et si cette femme était insupportable finalement ?"

- On est tous comme ça Simone, mais toi, tu es nous tous dans un seul cœur, c'est pour ça qu'on t'aime !

La foule commence à scander "Simone, Simone, Simone !!!"

Simone poursuit, après avoir difficilement obtenu le silence, une larme sur sa joue ayant achevé la dernière mouche qui volait :

- C'est gentil. Mais je ne suis pas quelqu'un qu'on aime finalement. Je suis quelqu'un qu'on n'aime plus. Toute ma vie j'ai croisé des gens qui ont été profondément et, croyaient-ils, définitivement séduits, puis ils m'ont tourné le dos, me reprochant ce pour quoi ils me remerciaient, une fois le temps de la surprise et de la nouveauté passé. Alors voilà, puisque je suis une promesse non tenue, j'assume, et je tire le rideau sur cette scène tant aimée. Certains d'entre vous sont persuadés que j'ai plus besoin de vos regards sur moi que du mien sur vous. Ceux-là me renieront bientôt, même s'ils semblent émus ce soir...

Oui, j'ai besoin de votre lumière, mais je ne suis rien sans l'énergie que je vais chercher dans vos yeux, vos mains, vos mots. Vous ne me voyez jamais vous regarder, vous observer, mais je passe ma vie à ça. Je suis curieuse de vous, je n'ai jamais arrêté de l'être, parce que je vous aime, bien plus que je ne m'aime moi-même probablement, et si mon plaisir d'être aimée est visible, n'en concluez jamais que c'est un plaisir égoïste, c'est tout le contraire. J'aime qu'on m'aime, parce que c'est la preuve que j'existe, parce que c'est la preuve que mon existence est utile, parce que c'est la preuve que tous les espoirs placés en moi depuis l'enfance ont donné quelques fruits. J'aime qu'on m'aime parce que je meurs de ne pas être aimée, de ne pas être comprise, ou pire, d'être mal jugée. Je meurs de n'être pas moi-même dans le miroir de l'autre. Le seul qui m'a renvoyé une image de moi aussi idéale que profondément authentique, je l'ai épousé. Je t'aime Raoul... Voilà. Je décide de partir avec mes idéaux, avec mes espoirs, avec mes certitudes, nées de vos sourires, de vos accolades, de vos lettres. Je reviendrai peut-être un jour, mais ce soir, j'ai senti une force indescriptible. J'ai immédiatement su que jamais je ne ressentirai cette force, cet amour que vous n'avez jamais cessé de me donner. Ce soir, vous m'avez offert mon Everest. Alors pardonnez-moi, mais je reste en-haut. Je ne veux pas redescendre. Je vous aime. Merci.


Dehors, une petite fille regarde cette foule qui sort lentement du Carnegie Hall, comme une procession. Elle demande à son papa :

- Papa, pourquoi ils pleurent tous ces gens ?

- Je ne sais pas ma chérie...

- Ils sont tristes ?

- Pas sûr, les larmes viennent sécher sur des sourires. Ils ont peut-être vu quelque chose de rare. Du bonheur, ou de l'amour...

- C'est rare l'amour ?

- C'est assez rare finalement, oui... Mais toi, tu le trouveras, parce que ton cœur c'est le plus beau du monde...

- Merci Papa... Toi aussi il est beau ton cœur...




© Franck Pelé – 2011

jeudi 19 mai 2011

Simone dans tous ses étages


- Pourquoi ne mets-tu pas tous les livre d'un seul coup, Raoul ?

- Parce que si ça te tombe dessus, la nuit va te sembler longue !

- Tu as peur que je sois assommée par le poids de ta culture ?

- Tu serais surprise par le bruit de l'impact...

- Bon, c'est trop long, je vais prendre les escaliers...

- Simone, je t'interdis de prendre les escaliers, j'ai eu du mal à monter ce système, respecte mon génie !

- Tu m'interdis ? Je n'aime pas les censeurs, je prends les escaliers.

- D'accord mais tu restes dormir...

- Tu as une bonne raison ?

- Laisse-toi aller, prends le censeur, et tu verras à quelle vitesse tu vas monter...



© Franck Pelé – 2011

Le complot


- Pourquoi tu as pris cette affaire Raoul... Tu te rends compte si c'est un complot qui met l'Etat en cause ?

- Ce n'est pas un complot. Dominique est un prédateur, toute la presse le savait depuis des années, mais le respect de la vie privée avait mis cette omerta en place qui le protégeait publiquement.

- Tu ne crois pas à la thèse du complot ?

- Mais non... La thèse du complot, c'est ce qui sort quand les faits sont trop énormes, trop angoissants, quand ils vous mettent en face de vos responsabilités morales. La vérité est beaucoup plus simple. Aussi simple que violente. Il est sorti toison au vent, il a croisé la petite de Harlem, et hop, il s'est dit qu'elle pourrait bien refaire le lit une deuxième fois...

- Quand même, si c'est vrai, on oublie un peu le drame de son sort à cette petite...

- Oui, mais là aussi, attendons un peu. Dans une semaine, on découvrira peut-être qu'ils avaient une liaison depuis un an, et qu'elle a mis ses menaces à exécution parce qu'il ne voulait pas divorcer.

- Ah bon ? Ils se connaissaient ?

- Supposition Simone... Supposition...

- C'est vraiment Dallas cette histoire...

- Oserais-je Sallas ?

- Raoul... Bon, et alors, pourquoi tu prends cette affaire si tu es convaincu de sa culpabilité ?

- Je suis convaincu de son addiction, de ses travers, mais je veux être sûr qu'il n'y a pas autre chose. Voir un destin se briser en direct, voir la chute d'un homme, d'un futur président, c'était vraiment terrible. Je veux être sûr que le coup est parti tout seul, qu'il n'y avait pas un autre tireur, je veux savoir pourquoi il roulait décapoté alors qu'il se savait attendu.

- C'est fou...

- Et je veux savoir pourquoi il a rappelé l'hôtel pour un simple téléphone oublié, alors qu'il était en partance pour son pays d'origine. Pays qui ne prévoit pas d'extradition...

- Il aurait pu tourner dans un Polanski, tranquille... Et maintenant, il est en prison.

- Je suis sûr que cet attentat restera dans l'Histoire. Même l'aéroport sera rebaptisé. L'aéroport DSK.



© Franck Pelé – 2011

Le diable dans le salon


- Une télévision ?

- Oui ma chérie. Avec cet appareil, tu pourras regarder la chaîne nationale, les informations mais aussi des émissions diverses, culturelles, scientifiques, il y aura même du cinéma. Tout sera diffusé en noir et blanc, mais c'est une révolution.

- Mais Raoul, quand veux-tu qu'on regarde tout ça ?

- Je ne sais pas, tu regardes la télévision quand tu veux, la journée, le soir, avant ou après dîner.

- Mais alors on lira moins ? On discutera moins ? Et la radio, on l'écoutera quand la radio ?

- Simone, essaie d'être un peu moderne...

- Moderne ? Je trouve cet appareil dangereux pour la communication, et pour moi, être moderne, c'est ne jamais arrêter d'apprendre, toujours se nourrir de l'autre, être moderne c'est lire, peindre, écrire, ou même...

- ...écouter la radio ?

- Et pourquoi pas ? Tu vois, c'était mieux avant, quand on écoutait la radio, qu'on imaginait tout ce qu'on nous disait, c'est comme un livre qui parle, ça laisse la place à l'imaginaire, et cet appareil va m'empêcher d'imaginer.

- Mais ce sera encore mieux, tu n'auras plus besoin d'imaginer, tu seras la spectatrice d'histoires réelles, d'images réelles, tu verras les vrais visages de ceux que tu imaginais à la radio ! C'est mieux qu'un livre qui parle, là, c'est un livre qui s'ouvre, pour toi toute seule !

- Mais non ! Il s'ouvre pour tout le monde pareil ! Alors que moi, quand je lis, ou quand j'écoute la radio, je me fais mon monde à moi toute seule, personne d'autre que moi n'imagine mon héros ou le journaliste comme je les imagine ! Je veux avoir besoin d'imaginer ! Je me fous de voir des images qui me disent ce que je dois imaginer ! Et puis, tu sais quoi Raoul ?

- Quoi ?

- Quand j'imagine, c'est toujours plein de couleurs...

- Bon, tu veux que je la rende ?

- Je ne sais pas, fais comme tu veux. Mais la direction que prend cette époque ne me plaît absolument pas.

- Arrête Simone... Il faut vivre avec son temps... Dans cinquante ans, on regrettera notre époque. Et tiens, pire, on dira que ce que nous vivrons dans les vingt prochaines années, c'était bien mieux !

- Impossible. On commence déjà à payer la baguette vingt centimes. Comment les gens pourraient regretter une époque où tout serait plus cher, où les gens se parleraient de moins en moins ?

- L'époque dont tu parles, puisqu'ils la regretteront, sera passée. Elle sera donc probablement moins chère pour eux...

- Mais pourquoi on ne s'arrête jamais... Pourquoi les gens veulent perdre du temps avec ces artifices ?

- Mais pour beaucoup, c'est le progrès, et les gens aiment le progrès, ils sont curieux. Alors ils se nourrissent des nouvelles inventions, et ils cultivent leur soif de créer, d'innover... Tiens regarde, les informations ! On va savoir tout ce qui se passe dans le monde !

- On le savait déjà avec les journaux, la radio...

- Oui mais là, on saura tout très vite, et surtout, on pourra voir les images ! L'Australie ! New-York ! L'Afrique ! Il n'y aura plus de mystères, on va enfin découvrir le monde et ceux qui le peuplent !

- C'est bien là le drame Raoul ! Le mystère, c'est le sel de l'imagination, l'épice de la création. Et puis pardon, mais déjà que les faits divers de la région m'angoissent, alors s'il faut que je sois au courant de toutes les tragédies du monde, non merci ! Bon, je vais me coucher, tu viens ?

- Je vais regarder un peu la télé chérie...

- Ah tu l'appelles la télé maintenant ? Vous êtes copains ?

- Simone...

- Dommage, je vais dormir avec ma nuisette en dentelle ce soir, je suis sûre qu'elle aurait cultivé ta soif d'innover...

- Laisse-moi être le témoin de cette fantastique révolution dans la communication. S'il te plaît...

- Mouais... J'ai l'impression qu'elle va prendre beaucoup de place dans la vie des gens ta communication... Méfie-toi qu'elle ne tue pas la vraie, celle qui transmet, qui cultive, qui séduit... Raoul, quand tu auras fini de voir ce qui se passe au Congo, n'oublie pas d'éteindre les lumières !

- D'accord !

- Et fais attention de ne pas laisser s'éteindre la mienne...

- Regarde, c'est un match de football !



© Franck Pelé – 2011

La chute


Sept heures avant le mariage de Kate et William, Simone réveilla la maison en hurlant :

- Qui a pris la traîne de Kate ???

Pippa, encore un peu raidie par le poker-vodka de la veille, lui répond en marmonnant :

- Personne n'a pris la traîne de Kate, Simone...

Simone dormait chez les Middleton depuis trois jours. Grande amie de la mère, elle était venue pour l'aider à préparer la beauté de sa fille en ce jour de gloire. Cela faisait maintenant plus de deux heures qu'elle cherchait la traîne quand soudain, elle poussa un cri à faire exploser tous les tympans du Royaume :

- Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa
aaaaaaah !!!!!!

Pippa :

- Qu'est-ce qui se passe ?

Simone :

- Qu'est-ce que fait la traîne suspendue au fond du jardin ???

- C'est pas la traîne, c'est une chute de lit, ça se voit non ? Tu m'as demandé de la laver et de l'étendre, je trouve que je me suis plutôt pas mal débrouillée, elle n'avait jamais été aussi chute que dans cette position... Regarde ça...

- Pippa... La chute de lit est toujours sur le lit... Je ne peux croire que tu aies fait une chose pareille... Tu as lavé la traîne de ta soeur !!!

- Désolée...

- Quoi ?

- Pardon !!!

- Pardon ? C'est tout ? Et on fait quoi ? Elle y va en bermuda ta sœur au mariage du siècle ? Le monde entier va assister à ce mariage, mais toi, tu t'en fous, tant qu'il y a de la vodka au buffet et que ta robe est assez moulante pour te rapporter 100.000 fans sur ta page facebook, ce sera réussi, et peu importe si il manque des pièces à la robe de Kate ! Ça t'ennuyait tant que ça d'être à la traîne ?

- Oui ! Depuis que je suis née je suis à la traîne derrière ma sœur ! Alors tu ne vas pas me gonfler parce que, pour une fois, je ne vais pas ramasser les miettes !

- Pippa, tu as une heure pour décrocher la traîne, découper un morceau honorable dans sa longueur et le coudre à la robe de ta sœur. Ensuite, tu la suivras jusqu'à l'autel avec ton plus beau sourire, et si tu sais offrir ton élégance la plus soignée, le monde te verra autant que Kate. Non mais tu te rends compte de l'exposition médiatique que tu vas avoir en tenant la traîne de la future Reine d'Angleterre ?

- D'accord...   Mais tu es sûr que les gens vont trouver normal que je les suive jusqu'à l'hôtel en tenant la traîne ?



© Franck Pelé – 2011

Réponse divine


Pour tout le monde, il ne faisait aucun doute que Simone était l’Élue. Le doute tentait bien de s'immiscer dans les certitudes de chacun, mais n'était-ce pas là une nouvelle tentative de déstabilisation de la foi ? Il suffisait de croire, et de se laisser porter. Exactement comme l'avait fait Simone, une semaine plus tôt.

Tout le village s'était réuni à l'église, pour la Messe dominicale. Le Père François avait organisé un petit jeu. Il avait demandé à chacun de répondre à la question :

"Dieu existe. Quelques minutes après votre mort, vous vous retrouvez devant Lui. Qu'aimeriez-vous L'entendre vous dire ?"

Chacun avait écrit sa réponse sur un bout de papier qui, après avoir été plié, se retrouvait mélangé aux autres dans le petit panier de la quête. Le Père François déplia chaque papillon, puis se mit à lire les réponses à haute voix. Il en lut plusieurs, avec une certaine décontraction, un sourire venant confirmer qu'il était content de l'impact de son petit jeu sur l'intérêt collectif, quand l'une des réponses fût à l'origine d'un étrange phénomène.

La réponse disait "Bonjour Simone. Asseyez-vous, je vais tout vous expliquer. Vous pourrez ensuite choisir l'âge que vous souhaitez avoir pendant ces trente prochaines années, vous aurez le droit d'en changer neuf fois, pour une semaine, au cours de ces trente ans. Histoire de cultiver votre mémoire physique. Il sera temps, ensuite, de retrouver tous ceux qui vous sont chers, ils vous attendent..."

L'écho de cette réponse dite à voix haute résonnait encore sur les piliers en pierre polie de l'église quand les orgues se mirent à jouer, sans personne aux commandes. Les vitraux scintillaient de mille feux. Ils dansaient ensemble avant de se retrouver dans un seul rai de lumière dont la course s'arrêtait sur la Croix majestueuse. La terre tremblait, le toit de l'église s'ouvrit en deux et une espèce de capsule vint se poser délicatement sur l'autel. Elle avait la taille d'un humain, elle pouvait assurément en contenir un.

Le calme est revenu. Tous les gens qui étaient partis en courant, ou s'étaient agenouillés entre les bancs, les mains sur la tête, s'avancent doucement vers la capsule. Des médecins, des infirmières et des policiers demandent de ne rien toucher. A l'intérieur, on aperçoit une enveloppe blanche sur laquelle est écrit ceci :

"Que celle qui a écrit ces mots s'allonge ici".

Le Père François se retourne vers la foule, là-bas, près de la porte, une belle femme avec un chapeau rouge et noir sort discrètement.

- Simone !

Elle s'arrête. Se retourne.

- Oui mon Père ?

- Vous devez répondre à cette invitation.

- Mais enfin, c'est insensé... Vous vous rendez compte ? Et si ça se passe mal ? Et si je meurs pendant ce voyage ?

- Je crois que ça ne changera rien à la beauté de la destination, elle semble écrite...

- Je peux y aller avec mon chapeau ?

- Je pense qu'il faut y aller en tenue d’Ève, Simone, ça me paraît d'une logique implacable... Cette infirmière va vous anesthésier, vous ne sentirez rien...

- Dis donc Papa Schultz, t'as pas trouvé autre chose pour me mater pendant mon sommeil ? Vous vous y êtes mis à plusieurs pour les effets spéciaux ? Dieu viendra me chercher en Personne, et puis mettre la tenue de celle qui a croqué la pomme et qui nous a enduit notre parcours avec de l'erreur, non merci, je préfère y aller comme je suis !

- Simone... Rien n'a été préparé, aucune intervention humaine ne se cache derrière ce signe miraculeux... Vous devez y aller.

- D'accord. Tous les hommes sortent, seuls les médecins restent, et les infirmières. Et puisque là-haut, je saurai tout, si j'apprends qu'un seul œil à voulu faire son glauque, qu'un seul regard m'a touchée de travers, et pire encore, qu'une seule aube s'est aventurée vers mon crépuscule, la sentence sera terrible ! Et inutile de vous dire que question piston, y'aura du lourd....

Les médecins et les infirmières restèrent sur place, le père François, tremblant dans son aube, ne put décroiser ses doigts, priant pour que chacun trouve son compte dans ce miracle divin. Simone se déshabilla lentement, puis s'allongea, confortablement, dans la capsule. On lui administra une légère anesthésie, puis le père François appuya sur ce gros bouton rouge, à l'extérieur de la capsule. La terre se mit à trembler, le toit s'ouvrit de plus belle, la capsule commença à vibrer, avant de décoller et de disparaître dans un panache de fumée.

Personne n'avait peur de l'issue de cet épisode incroyable. Simone était splendide, tellement belle qu'elle tutoyait le divin. Il est des beautés qui méritent parfois des réponses...

Soudain, Raoul pénétra dans l'église, très essoufflé :

- Vous avez vu cet engin qui vient de décoller ? On aurait dit qu'il partait du village, j'étais à la charcuterie avec ma belle-sœur, ça a fait un bruit du tonnerre !

Les gens se regardent, personne ne répond.

- Qu'est-ce qui se passe ici ?

Il cherche alors sa femme du regard. Il parcourt les rangs, il ne voit que têtes baissées ou regards gênés. Il lance :

- Simone ? Simone ??? Quelqu'un a vu ma femme ?

Le clochard à l'entrée de l'église balance alors sur un ton aussi certain que son haleine sentait le pastis :

- Ta femme elle vient de partir à poil dans une fusée spécialement envoyée par Dieu qui l'a invitée à dîner parce qu'Il a adoré sa réponse au jeu du Père François !



© Franck Pelé – 2011

samedi 7 mai 2011

Vertiges de l'amour


- Aaaaaaaaaaaaaah !!!

- Quoi ? Simone ?? Qu'est-ce qui se passe ??

- J'ai eu une de ces peurs... J'ai fait un cauchemar... J'ai rêvé que je me levais pour aller aux toilettes et je tombais dans le vide...

- Impossible, tu es accrochée avec les mousquetons...

- Peut-être mais tu avoueras que c'est difficile d'avoir un sommeil serein...

- Tu n'as pas bien dormi ? Toi qui rêves de dormir sur la terrasse depuis des années...

- Tu veux bien aller me chercher les croissants ?

- Bien sûr... Bon, allez, on s'habille et on y va, on a encore pas mal à grimper.

- Comme ça ? Sans profiter du matin ? D'habitude le matin, on prend notre temps, et puis moi, pour gravir ma face nord, tu n'as pas besoin de mousquetons, j'offre beaucoup de prises...

- Simone...

- Bon, d'accord... mais je prends ma douche la première...

- Simone, on n'a pas le temps de rigoler, on y va, ensemble, on ne perd pas de temps, on a fait la moitié du chemin, on se bouge maintenant, solidaires ! Un pour tous, tous pour un !

- Un pour tous... On est deux... Il est beau d'Artagnan et ses trois mousquetons...

- Pardon ?

- Rien mon chéri ! Solidaires ! Je te suis ! On te suit tous ! N'hésite pas à faire l'appel de temps en temps quand même, ce serait con qu'on en perde un en route...



© Franck Pelé – 2011

Scène de ménage


- Alors ? Il te plaît ? La vue est superbe...

- C'est étrange, je suis partagée. J'hésite entre l'enthousiasme et l'effroi.

- L'effroi ?

- Tu ne sens pas cette ambiance ? Quand je suis ici, j'ai l'impression de vivre dans un film, dans plusieurs d'ailleurs, et pas que des comédies romantiques...

- Du genre ?

- Du genre "Body Double" de De Palma, "Mulholland Drive" de Lynch ou même "La mort aux trousses" d'Hitchcock. On a l'impression qu'il va se passer quelque chose...

- Ah quand même... Bon, et si on s'achète une petite maison dans la prairie tu n'auras pas peur de la fille de la voisine si c'est une petite peste blonde ?

- Raoul... Si je sens de mauvaises ondes, il faut que je te le dise non ?

- Oui bien sûr mais vu que tu sens TOUJOURS de mauvaises ondes, on n'est pas près de déménager !

- Et puis cette baie vitrée est magnifique... mais tu imagines l'entretien ? C'est toi qui vas passer le glassex ?

- On engagera quelqu'un.

- Une femme évidemment...

- Bah oui, c'est souvent comme ça non ?

- Et pourquoi pas un homme ?

- Parce qu'une femme de ménage ça entre chez toi et ça nettoie ta maison, alors qu'un homme de ménage, ça entre dans ta vie et ça nettoie ta femme !

- N'importe quoi... Bon, d'accord pour la petite maison dans la prairie, mais prends des petites fenêtres parce que je ne ferai pas les carreaux et je n'accepterai aucune femme de ménage chez moi ! Sexiste !

- Je les ferai les carreaux ! On serait bien le premier couple de la ville à avoir un homme de ménage ! Et ne me traite pas de sexiste s'il te plaît, tu sais à quel point je ne le suis pas, tu te fais juste un fantasme énorme et tu es déçue comme une capricieuse de ne pouvoir le vendre comme une requête évidente ! Et si on prend un petit gros moustachu du sud du Mexique, tu prends toujours ?

- ... si on a une belle vue, ce serait dommage de la gâcher alors qu'on peut choisir des gens qui ne font pas tâche dans le décor... non ?

- Voilà ! Merci ! Je vis avec une chaudasse qui veut des chippendales pour qu'ils lui en mettent plein la vue !

- Retire ça tout de suite...

- Quoi ?

- Retire "chaudasse" immédiatement !

- Je retire... mais admets que tes fantasmes t'enferment dans une image assez brûlante...

- Et si la femme de ménage fait la baie vitrée en string, tu vas regarder tes mots croisés ou la virer dans la minute qui suit ?

- Je ne sais pas... C'est rare une femme de ménage comme ça quand même...

- Mais si c'était le cas, tu nous ferais un remake de "La baie et la bête" ! Je te le dis ! Alors arrête un peu avec tes caricatures et ton costard de chevalier blanc !

- C'est vrai qu'il y a de mauvaises ondes ici...

- Allez viens, on s'en va...



© Franck Pelé – 2011

Coup de foudre


- Alors Raoul, vous le branchez votre flash ? Je pose depuis vingt minutes...

- Vous savez ce que je me dis là ? Tout de suite ?

- Non...

- J'ai une chance extraordinaire de vivre votre beauté, et j'ai une pensée pour ceux qui ne la verront qu'en photo.

- Pourquoi dites-vous cela ?

- Parce que même si la photo que je suis en train de faire est magnifique, elle est, et restera en noir et blanc, pour les siècles des siècles, parce que c'est le ton que l'histoire a choisi pour notre époque.

- Et alors ?

- Alors dans toute l'histoire de votre beauté offerte, personne d'autre que moi sur la planète ne sera le témoin de la magie de votre charme dans la vérité de ses couleurs, à l'instant précis où je vais la figer sur du papier brillant...

Un énorme flash illumine soudain Simone. Dans un réflexe inquiet, Raoul recule, sans comprendre puisqu'il n'a rien touché, et demande :

- Qu'est-ce que c'était ?

- Je crois que vous avez flashé sur moi...

Simone et Raoul se regardent alors dans les yeux, longuement, intensément, un sourire exceptionnel les réunit dans un monde où on ne vit qu'à deux.

Un énorme flash illumine soudain Raoul...



© Franck Pelé – 2011

Raoul n'est pas à la traîne


- Pippa Middleton, I love you !

Simone sort de la salle de bains :

- Qu'est-ce que tu racontes Raoul ?

- Heu... non... rien...

- Tu regardes ce truc ?

- J'aime bien les robes...

- Elle est jolie cette brune qui tient la traîne, qui est-ce ?

- La sœur de Kate

- Tu la trouves comment ?

- Mouais. Pas mal...

- C'est marrant. Si ça se trouve, il y a quinze ans, les deux sœurs jouaient à la princesse et se battaient pour savoir qui tiendrait la traîne...

Simone retourne dans la salle de bains. Raoul chuchote :

- Moi, y'a quinze ans, je me serais battu pour soulever ta traîne Pippa...

Simone, de la salle de bains :

- Raoul, arrête de rêver à ce qu'il y a sous les jupes des filles et va mettre la table !



© Franck Pelé – 2011

Une couronne pour Simone


- Qu'est-ce que c'est que ça ???

- C'est mon trophée !

- Mais tu reviens d'où là ?

- Raoul... ça fait dix fois que je t'en parle depuis une semaine... J'étais au congrès annuel des dentistes pour la remise des prix. C'était au Palais des Congrès, y'avait un monde fou...

- Et c'est quoi ce prix ? Tu n'es pas dentiste toi !

- Non, mais j'ai reçu le prix de la plus belle bouche de patiente 2011

- Ah... et bien voilà qui va nous faire une publicité absolument indispensable...

- T'aurais préféré que je gagne dans la catégorie mauvaise haleine ?

- Parce que quelqu'un d'autre l'a emporté ? Mais tu étais ultra favorite !

Simone se mit alors à courir après Raoul en brandissant un vase en cristal. Raoul fonça vers la cuisine en riant à gorge déployée, tout en demandant pardon. Simone lança son vase vers la bouteille d'huile qui attendait qu'on l'utilise pour faire la vinaigrette et fit tomber la bouteille.

Au troisième passage de Raoul dans la cuisine, il glissa sur le carrelage parfaitement huilé et s'envola à l'horizontale pour finir la nez dans les boites à épices qu'il défonça de la tête dans un strike magistral.

Simone retourna Raoul, le mit sur le dos, remonta sa robe d'été et s'assit sur son torse, le souffle court :

- Alors ?

- Ok, j'abandonne... Par contre...

Son regard se perd, et remonte le long des cuisses de sa femme.

- ...tu étais habillée comme ça à la cérémonie ?

- Et alors ? Je m'assieds rarement sur le torse des gens pour les remercier quand ils me remettent un trophée !

- Il y avait un souffleur quand tu es monté sur scène ?

- Heu... oui...

- Et voilà ! Bon bah lui, il a plus soufflé en cinq minutes qu'en cinq ans de carrière !

Simone met alors sa main devant sa bouche et réprime difficilement un cri horrifié.

- Quoi ?

- Il y avait l'orchestre aussi... Et quand je suis montée, je me souviens m'être fait la réflexion que la musique s'emballait, puis je me suis dit que c'était une impression sous le coup de mon émotion...

- Un orchestre suit toujours la baguette de son chef, et elle a dû s'emballer un poil après ton arrivée sur scène !

- Heureusement que Madame Petit-Demange avait un pantalon... L'orchestre n'aurait pas supporté de devoir suivre une baguette sans vie...

- Qui est cette dame ?

- La plus ancienne patiente du Docteur Russon, elle a gagné le prix du meilleur second râle après anesthésie.

- Du meilleur second râle ?

- Oui, Madame Petit-Demange a toujours deux râles avant de s'endormir complètement, comme toutes ses amies retraitées. Un point commun étonnant qui a donné naissance à ce prix.

- C'est la première fois que tu assistes à cette cérémonie ?

- La cérémonie des Molaires ? C'est la troisième fois. Et je compte bien y retourner ! Sauf si le chef d'orchestre m'a filmé avec son portable tout en agitant sa baguette, ce qui m'étonnerait fort ! Non... Je ne vois pas pourquoi quelqu'un aurait la moindre dent contre moi... Bon... Tu m'aides à me relever ?

- Je te rappelle que c'est toi qui es sur moi. Et franchement, j'ai envie que tu restes un peu...

- Même avec mon haleine ?

- Arrête chérie, tu sais très bien que je plaisantais... Aucune femme n'a la fraîcheur de tes baisers, et quand je te regarde comme ça, j'ai envie d'embrasser tous tes sourires pendant des heures...


© Franck Pelé – 2011

Raoul prend des couleurs


- Simone !

- Quoi ?

- Viens voir...

- Ah, on ne doit pas être loin de chez mon coiffeur...

- Pourquoi ?

- Il dit toujours que pour obtenir une bonne couleur, il faut commencer dès la racine...

- Très drôle !

- Arrête de râler un peu Raoul... Tu voulais te balader en forêt pour prendre des couleurs, tu es servi, non ?

- La forêt ? Ah elle a bonne mine la forêt !



© Franck Pelé – 2011

What else ?


Simone boit son café dans un bar, près de Montmartre. Un homme entre, prend place sur un tabouret près du zinc, à côté de Simone, et demande à la serveuse :

- Un expresso mon p'tit s'il vous plaît !

Simone enchaîne :

- On dit un espresso...

- Pardon ?

- Il n'y a pas de X dans espresso. On dit eSpresso, pas eXpresso. Mais bon, vu comment vous parlez à cette jeune fille, vous mettez sans doute des X partout...

- Oh dites donc ça va hein ! On n'a pas élevé les cochons ensemble !

- La plus pitoyable des expressions, LA répartie de ceux qui n'en ont pas. Merci de vous enfoncer pour moi...

- Je ne peux pas l'appeler mon p'tit ?

- Si bien sûr, vous pouvez l'appeler mon p'tit, et vous pouvez aussi lui claquer la fesse gauche quand elle vous aura servi votre café, et vous prendrez son sourire pour une acceptation tacite alors qu'il n'est que le vernis de la peur de perdre son emploi...

- Et allez, ça fait la féministe et ça boit comme un homme au bar ! Retourne chez toi, t'as des banderoles à écrire !

- Ah parce que tu crois qu'une femme ne peut s'asseoir au bar qu'à la condition d'être sur les genoux d'un gros vicelard comme toi ? Si j'étais toi, je finirais mon eXXXpresso fissa et je rentrerais chez moi !

- Et pourquoi donc ?

- Parce que sinon je te fais entrer une banderole par une oreille et la fais ressortir par l'autre, et je vais tellement frotter que ton petit cerveau sera aussi brillant que le cuir de la ceinture de mon Raoul !

- C'est qui Raoul ?

- C'est mon mari, et pendant qu'il te fera goûter les joies de sa ceinture, il t'expliquera à quel point j'adore être sa femme, lui préparer des petits plats, jouer à l'épouse modèle, parce que je sais qu'il me voit comme une femme à part entière, avec un respect qu'il n'a pour aucun homme. Alors moi féministe...

- Ma femme aussi adore me préparer des petits plats !

- C'est ça... allez... retourne engueuler ta bonniche... Elle doit avoir le même sourire que la serveuse quand tu l'appelles mon p'tit mais elle doit rêver secrètement depuis vingt ans de te plonger ta tronche de fasciste de la dentelle dans ce gigot -haricots que tu critiques toujours un peu plus que l'amour avec lequel elle te le prépare ! Pour un connard comme toi, quel gâchis !

- Tu m'as traité de connard là ?

- Y'a pas de haine dans connard ? Ah pardon, j'ai pas fait esprès...


© Franck Pelé – 2011

THX 1138


- Vous êtes Simone ?

- Oui... Qui êtes-vous ?

- Je suis THX 1138.

- Enchantée... Mais... on se connaît ?

- Moi un peu plus que vous... votre sang est le même que celui qui coule dans les veines de mon père.

- Qui est votre père ?

- Alessandro

- Je ne connais pas, vous devez faire erreur.

- Vous ne le connaissez pas encore. C'est le nom de votre arrière-arrière-arrière-pe
tit-fils.

- Vous devriez arrêter la vodka mon petit... Allez, laissez-moi tranquille. Bravo pour votre déguisement en tout cas, on s'y croirait !

- Vous vous appelez Simone Dandieu, vous êtes née le 23 septembre 1938, mariée à Raoul Dandieu, né le 10 février 1931. Vous avez une sœur, Paulette, mariée à Charles Jourdain. Vous attendez un enfant, un garçon...

- ... mais on ne connaît pas encore le sexe, vous racontez n'importe quoi ! Et comment savez-vous tout ça ?

- Il s'appellera Maxence.

Simone devient blême.

- C'est le prénom qu'on a choisi avec Raoul si c'était un garçon...

- Il aura deux enfants, dont l'un sera le grand-père de mon père. C'est lui qui m'envoie.

- Pour quoi faire ? D'où venez-vous ?

- De la fin du prochain siècle. Je viens pour vous sauver. Mon père est le dernier de la génération des hommes non modifiés. Votre genre s'est lentement auto-détruit, à coup de surconsommation des ressources naturelles et d'utilisation abusive de produits chimiques, sur fond de spéculation tellement agressive qu'elle a fini par devenir aveugle. Et puis la guerre a eu raison des colombes...

- La guerre ? L'homme a réussi à déclencher une troisième guerre mondiale ?

- Non, elle n'a jamais porté ce nom. Mais dès le début du XXIème siècle, les conflits se sont tellement multipliés qu'il n'y avait plus besoin de nommer officiellement un embrasement mondial. Il n'y a jamais eu de troisième guerre mondiale, mais il y a eu mille guerres civiles.

- Et vous ? Vous êtes... quoi ?

- La robotisation "humanisée" a commencé juste après la période du clonage. Mon père m'a créé pour m'envoyer dans cet espace-temps, le vôtre, et pour y répandre cette triste nouvelle. Si l'Homme ne fait rien, il court tout droit vers le destin le plus noir qu'on lui promet...

Simone prend le robot dans ses bras, une larme difficilement contenue et lui glisse doucement, à son oreille métallique :

- Merci...

- Sauvez vos terres, vos agriculteurs, produisez sain, arrêtez cette consommation inutile, respectez cette incroyable richesse que propose la nature, elle saura vous le rendre.

- THX ?

- Oui ?

- Si je dis à mon fils de faire très attention à tout ça, et que, de mon côté, je continue à acheter de belles voitures, des fringues, à manger au restaurant, à prendre l'avion ou à mettre du parfum hors de prix, ça suffira ? Il aura le temps de sauver le monde ?

- Simone, si je suis là, c'est parce que chaque génération, depuis la vôtre, n'a cessé de transmettre la menace au lieu d'essayer de l'éradiquer en changeant d'attitude...

- Changer d'attitude ? Il est marrant lui ! Dis donc la CX 2 litres 8, tu vas rentrer chez toi, et tu vas leur dire que c'est trop facile de se payer des voyages spatio-temporels pour dire aux autres de se priver ! Alors tu rentres et tu profites de ta chance de faire partie de la première génération qui n'est pas humaine ! Si nous, on n'a pas réussi, peut-être que vous, vous y arriverez ! Parce que moi, je me parfume Môssieur, et je fais du shopping, parce que c'est la vie, et je mange de la viande, et je bois du vin, et je roule vite, et je pars en vacances, et j'ai de la chance d'être née à Saint-Cloud et pas à Dakar, alors j'en profite ! C'est égoïste, c'est injuste, mais la vie est injuste mon vieux ! La Terre est vouée à disparaître, et quand ça arrivera, il y aura forcément des gens pas très contents que ça tombe sur eux. En attendant, il faut prendre du bon temps !

- Et si ton petit-fils ne peut plus respirer un air devenu impur ? Si toute la nourriture est génétiquement modifiée ? Si une centrale nucléaire explose ? Si on n'a plus d'argent pour vivre ? Si la religion jette un voile sur la foi ou le lève sur des a priori ?

- On sera jamais aussi dingues. Allez, mes amitiés à ton papa, j'espère que t'auras pas trop de monde sur la route. Merci d'être venu, c'est toujours agréable d'avoir des nouvelles du futur...

- Bon...

- Ah, attends ! Tu pourrais m'emmener au temps de Marie-Antoinette ? Juste quelques minutes...

- Pourquoi ?

- J'adore comment elle s'habille. Je suis sûre qu'elle me donnera une de ses robes si tu lui dis qu'elle est mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière grand-mère...



© Franck Pelé – 2011

Réflexions


Dans quelques secondes, Simone ne se verra plus dans le rétroviseur. Parce que face à l'insupportable délice de l'image proposée, certains miroirs ne réfléchissent plus. Ils regardent...


© Franck Pelé – 2011

Blond vénitien


- Bonjour Simone !

- Bonjour Madame Farelli...

- Vous partez ?

- Oui, Raoul m'emmène à Venise pour le week-end.

- Quelle chance !

- Oui... Et puis avec cette voiture, on se sentira comme de vrais vénitiens, c'est très excitant !

- Ah ? Et pourquoi donc ?

- Enfin Madame Farelli... Venise... Vous ne savez pas qu'on l'appelle la cité des Dodge ?


© Franck Pelé – 2011